Le récent massacre de Bombay en Inde est venu poser, à nouveau, le sempiternel problème aux services de sécurité et aux gouvernants de tous les pays visés par le terrorisme de trouver les moyens les plus efficaces pour empêcher des actes aussi imparables que les attentats à la bombe et à la voiture piégée. L'Inde, l'Afghanistan et le Pakistan, les pays d'Europe, les pays du Maghreb sont des cibles du terrorisme fondamentaliste, et en Algérie, le double attentat d'avril 2007 contre le Palais du gouvernement et une division de la police à Bab Ezzouar est considéré comme étant le premier à avoir été perpétré par des kamikazes. À Casablanca, au Maroc, la même époque, à deux reprises, des jeunes gens se faisaient sauter avec leurs ceintures d'explosifs. En Tunisie, les forces de sécurité neutralisaient, au début de la même année, une trentaine de “combattants” qui planifiaient des attentats suicides contre des ambassades occidentales et des hôtels. Toutes les actions suicides portent une marque car, pour de nombreux observateurs, le Maghreb est désormais au cœur de la tourmente djihadiste et de la stratégie d'Al-Qaïda. Le terrorisme conserve, en outre, cette force de frappe de recruter des candidats à la mort, des kamikazes qui agissent à tout moment à des endroits stratégiques, on le sait. Les terroristes puisent dans le terreau de la misère et du mal-vivre de jeunes désespérés, et les nourrit d'images vidéo relatant le malheur des Arabes d'Irak et de Palestine afin de mieux les enflammer pour “le djihad”, ressasse-t-on à satiété dans les médias occidentaux ; ce qui n'est pas tout à fait faux. Le 11 décembre de l'année dernière s'est inscrit logiquement dans ce contexte. Le double attentat suicide visant des bureaux des Nations unies et le siège du Conseil constitutionnel, à Alger, avait introduit intuitivement, c'est-à-dire de manière quasiment inattendue, une polémique en engageant l'ONU et Alger sur une voie sans issue, celle qui, précisément, cherchait s'il y avait ou non moyen d'éviter ce double attentat. Alors que la question était ailleurs. Partout dans le monde, la lutte antiterroriste de façon globale et coordonnée entre les pays directement visés, fait figure en effet de priorité des priorités à présent, sans aucune équivoque, encore moins de tergiversations politiciennes. Pour l'Algérie, il apparaît évident que le pays n'est pas à l'abri du terrorisme. Terrorisme aveugle, cibles faciles ou tentatives de déstabilisation du pays ? C'est ainsi que la date du 11 décembre pourrait avoir constitué aussi une étape marquante dans l'histoire de ces quinze années de l'Algérie. Parce qu'elle est intervenue à la fin d'une année 2007 durant laquelle avait eu lieu une recrudescence exceptionnelle des attentats, elle semble avoir vraiment marqué une sorte de ras-le-bol aussi bien au niveau de l'opinion publique nationale que de la sphère officielle. Durant tout l'an dernier, des attentats meurtriers avaient endeuillé le pays, et depuis le double attentat du 11 avril visant le siège du gouvernement et un poste de police dans la banlieue de la capitale, jusqu'à cette explosion d'une bombe dans la foule qui attendait une visite du président Bouteflika à Batna, l'explosion d'un camion piégé deux jours après à Dellys, frappant une caserne des garde-côtes, ou encore l'explosion d'un autre camion piégé dans une caserne militaire de Lakhdaria, le décompte macabre s'allongeait, dépassant en tout la centaine de morts et plus de trois cent cinquante blessés. Qui sont ces kamikazes ? Pour le président de la République, il s'agit de jeunes attirés avec des fetwas erronées, par des “égarés qui tentent de les enfoncer à travers des idées takfiristes, terroristes et destructrices pour en faire, enfin, les ennemis de leurs famille et pays, la honte de leur religion et de la nation”, déclarait-il lors de son discours prononcé à l'occasion du 46e anniversaire de l'indépendance nationale. Dans quel but ? Terrorisme aveugle, cibles faciles ou tentatives de déstabilisation du pays ? Le troisième argument est le plus plausible, selon bon nombre d'observateurs qui soulignent en substance qu'un pays qui amorce depuis quelques années un programme de développement sans précédent ne peut certainement que contrecarrer les mouvements fondamentalistes dont la stratégie est basée au contraire sur les effets pervers du sous-développement. C'est dans cet ordre d'idées qu'il serait apparu urgent pour l'Algérie d'intensifier la riposte, en isolant et en combattant sans merci les groupes terroristes pour éviter que le mal qui semblait éradiqué ne revienne sous la forme d'une dangereuse menace. Le 5 juillet dernier, dans son allocution officielle traditionnelle, le président Bouteflika affirmait que “l'Etat n'hésitera pas à faire face, avec force et détermination, aux résidus de la criminalité et du terrorisme”. Des images bien réelles Pour en revenir au 11 décembre 2007, il ne faisait pas de doute que les cibles avaient été choisies délibérément aussi par le GSPC, seul mouvement à avoir refusé de rendre les armes dans le cadre de la politique de réconciliation nationale, pour inscrire un impact sur l'opinion nationale certes, mais aussi sur le courant international de lutte antiterroriste où l'Algérie représente une référence, du fait de l'expérience considérable acquise en la matière. Cette journée noire avait mis la diplomatie algérienne à rude épreuve. Les autorités algériennes s'étaient retrouvées dans une position défensive pour le moins inconfortable, usant de tous les médias et en tentant de justifier au mieux leurs arguments entre la politique de réconciliation nationale, peut-être mal comprise par certaines instances internationales, et l'exigence impérative d'une protection efficace des bâtiments abritant des étrangers. Pragmatique, le ministre de l'Intérieur soulignait devant la presse, sur les lieux des attentats du 11 décembre, que l'Algérie n'était pas à l'abri “d'attentats de ce genre”, en appelant les Algériens à “persévérer dans la vigilance, parce qu'il est facile de commettre un attentat à la bombe”. On peut sûrement reconnaître à Zerhouni qu'il est bien placé pour le savoir, les services algériens de sécurité faisant face depuis quinze ans à une violence meurtrière qui a fait depuis 1992 dans les 200 000 morts. L'armée, conjointement aux différentes forces de sécurité, “poursuivra la lutte contre le terrorisme jusqu'à l'extirpation des racines de ce fléau de notre pays”, déclarait avant lui le général Salah Gaïd, appelant ainsi à plus de fermeté contre les groupes terroristes. Alger claquemurée, davantage de barrages dans les grandes villes, les forces de sécurité constamment sur le qui-vive, ce furent-là, à l'orée de 2008, des images bien réelles d'un pays sous haute protection. Pour autant, il n'est pas du tout question pour les autorités algériennes de faiblir dans la poursuite d'une politique de réconciliation nationale qui a donné des résultats appréciables et indéniables. Dans un appel aux “égarés”, Bouteflika leur a une fois de plus tendu la main, à l'occasion de la célébration du 5 Juillet. “Qu'ils sachent aussi que les portes du pardon restent ouvertes devant les jeunes, enfants de cette terre bonne et généreuse, et qui feront montre d'une ferme volonté de repentir”, disait-il, en leur demandant d'apporter leur contribution à l'édification de leur pays. Un message clair. Condamnation sans réserves et lutte sans merci contre le terrorisme considéré comme une criminalité, et en même temps respect intangible de la charte pour la paix et la reconciliation. Au fond, l'un ne va pas sans l'autre. Les commanditaires des actes terroristes contre l'Algérie, au-delà des stratégies, répercutent par une violence meurtrière leur désaccord profond pour la réconciliation nationale, le pardon et le repentir… sinon ils auraient déjà rendu leurs armes. La stabilité politique de l'Etat algérien depuis quelques années va à contresens de leur démarche et de leurs objectifs. Inversement, toucher à la charte pour la paix et la réconciliation, c'est faire leur jeu. Z. F.