Nous avons beaucoup lu et entendu de commentaires au sujet de la crise internationale qui s'est abattue sur le monde depuis l'été dernier venant des Etats-Unis et se propageant de proche en proche au reste du monde avec plus ou moins d'intensité et surtout de dégâts. Si l'Algérie pour l'instant est relativement épargnée, elle reste, cependant, très exposée aux effets indirects qui risquent passablement d'affecter les politiques économiques mises en place. Dans bon nombre d'analyses développées, il ressort que certaines ont été, de notre point de vue, vite en besogne pour pronostiquer la fin du marché, le retour du “tout Etat”, voire la fin du capitalisme. Le libéralisme a, selon ces commentateurs, été cloué au pilori au motif qu'il était incapable d'assurer sa régulation dans le temps, du moins avec pérennité et sérénité et, par conséquent, qu'il valait mieux revenir à l'Etat régalien qui prendrait en charge cette mission. Cette sentence est lourde et excessive. D'autant qu'elle ne correspond pas aux politiques de relance engagées un peu partout dans le monde par les chefs de gouvernement qui actionnent, de façon résolue, l'arme budgétaire tordant le cou aux sacro-saints équilibres de Maëstricht qui prônent l'orthodoxie financière en matière de finances publiques. En effet, pour l'ensemble de la communauté libérale internationale, il s'agit d'une crise conjoncturelle tenant à un excès de laxisme monétaire engendré par une emprise excessive de la finance sur l'économie réelle (production, consommation, investissement, épargne). Cette situation qui dure depuis au moins dix ans a été permise par une politique d'argent facile décrétée, en son temps, par l'argentier en chef Alan Greespan (patron de la FED)- Du coup, les banques ont prêté de façon inconsidérée et dangereuse, y compris aux ménages désargentés qui ont misé sur la spéculation pour rembourser. L'éclatement de la bulle spéculative immobilière a mis à nu tous les cadavres qui étaient dans les placards des banques américaines. La mondialisation a disséminé ces actifs toxiques en Europe, puis au reste du monde par le truchement de la titrisation qui a paré de tous les atouts financiers attrayants ces titres pour qu'ils puissent plaire aux éventuels et potentiels acheteurs. C'est ainsi que les génies de Wall Street puis de la City de Londres ont réussi leur coup en “plaçant” tout ce papier (pourri) au niveau de toutes les institutions financières mondiales en quête de placement. Maintenant que le mal est fait, il faut se rendre compte que la similitude avec la grande crise de 1929 s'arrête aux facteurs déclenchants : krach boursier, suivi d'un krach banquier. Cet enchaînement qui ne s'est pas fait dans les mêmes conditions rend probable une sortie de crise plus rapide pour au moins deux raisons essentielles. L'une pratique, l'autre d'ordre doctrinal. La première grande différence avec le schéma de la crise de 1929 tient au fait que cette fois-ci, les autorités politiques ne laisseront pas aller à la faillite les banques. Hormis la Leman Brothers, qui a provoqué un véritable séisme financier et sur lequel, nous n'avons pas toutes les explications, il n'y a plus d'autre exemple de faillite de banques — ni en Angleterre ni en Allemagne ni en France. Elles ont toutes été soutenues et recapitalisées. Et ceci pour une raison simple et évidente : il faut éviter l'asphyxie financière des entreprises elles-mêmes exposées à de très fortes tensions. À défaut, l'effet domino sera fatal en multipliant à l'infini les défaillances porteuses de tous les dangers. C'est pourquoi, forts des enseignements de la grande crise, les gouvernants actuels feront tout pour sauvegarder le maillon essentiel de la finance constitué par le système bancaire auquel on exigera de continuer à assurer la liquidité de l'ensemble de l'économie. Au passage, l'on remarquera la capacité du système à trouver des fonds pour certaines causes et son autisme s'agissant d'aides au développement. La seconde différence de taille tient aux politiques alternatives adossées au système keynésien qui revient en grâce avec force et détermination après avoir été éclipsé, voire tombé en disgrâce depuis l'époque de Madame Tatcher et du président Reagan, apôtres du libéralisme pur et dur. Cet enseignement keynésien permet une sortie de crise en justifiant, à la fois, un interventionnisme étatique à tous les étages qui convient parfaitement à la gouvernance algérienne, et surtout par l'utilisation de l'arme budgétaire finançant une vigoureuse politique d'investissement public, quitte à générer un déficit budgétaire plus ou moins important mais qui peut être considéré comme une anticipation de flux financiers futurs venant équilibrer l'excès de dépenses engagées. En d'autres termes, il n'est pas hasardeux de penser que Keynes va sauver, pour la seconde fois, le capitalisme international confronté à sa plus grande crise en permettant un dirigisme éclairé de l'Etat durant une période limitée au retour des équilibres fondamentaux. Mais ceci dit, on ne changera ni de système ni de logique de fonctionnement. Et l'Algérie dans cette affaire ? Nous sommes dans une logique keynésienne depuis le plan de relance avec à la clé, les programmes d'investissements les plus importants depuis notre Indépendance orientés surtout, à travers la dépense publique, à reconstruire nos infrastructures. Certes le risque inflationniste reste présent mais contenu grâce à un encadrement ferme du crédit et à une saine gestion du taux de change. Le risque est ailleurs à l'heure actuelle. Il tient à une liquidation anticipée d'une économie de marché que l'on n'aura pas aidé à s'installer durablement en réunissant les conditions suffisantes à sa promotion, voire son épanouissement. Les vieux démons d'une économie administrée sont restés chez nous à la surface. Ils sont encore vivaces et gardent toute leur actualité ou leur pertinence pour les adeptes du “tout-Etat”, système qui leur permet de garder la main sur toutes les manettes et leviers de décision. Ce faisant, si la tendance s'affirme, l'on serait passé trop rapidement d'une économie de commandement à une économie régalienne en “sautant” l'économie de marché portée par des acteurs privés trop faibles (qu'a-t-on fait pour les développer ?) et englués dans un marché informel qui les dévore et pervertit les rouages économiques. Dans ce contexte, l'on voit se profiler une agence (administrative) de régulation de l'emploi, des offices d'importation de produits de base, des SED (Société d'économie et de développement) devant représenter des champions en matière de croissance. Est-ce le vrai visage de la stratégie industrielle ? Nous aurions souhaité un plan de relance pour les PMI, un assainissement financier des entreprises éprouvées par certaines circonstances, un soutien plus marqué aux exportateurs et plus de facilités et de soutiens pour les investisseurs. Heureusement que nos différents ministères ont projeté une vigoureuse mise à niveau des entreprises. Elle est tardive mais salutaire pour sauver ce qui reste d'industries dans notre pays. R. H. (*) Président du Forum des chefs d'entreprise