Dans cet entretien, ce docteur d'Etat en finance internationale aborde les leçons de la crise financière mondiale, sa durée et plaide pour la création de deux fonds souverains en Algérie. Liberté : Quelle est l'origine de la crise financière mondiale ? Camille Sari : L'origine de la crise, c'est qu'on a supprimé les feux rouges, en pensant que les acteurs du marché financier seraient raisonnables. À la fin des années 80, on a déréglementé les marchés financiers, notamment en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis. Ce sont les premiers qui ont mis en place des systèmes dérégulés, sans règles qui allaient libéraliser les marchés. De ce fait, on a assisté à l'apparition de produits financiers qui sont incontournables et dont on ne connaît pas l'origine. On a aujourd'hui le scandale Madoff. Ce qui a précédé, ce qui a fait éclater le système, c'est la crise des subprimes. En fait, on a prêté à des pauvres, pensant faire une plus-value sur la vente de leurs maisons en cas de non remboursement. On a prêté à l'immobilier et pas aux personnes les plus solvables. Le problème aurait pu rester américano-américain, puisque c'est un problème de crédit hypothécaire interne aux Etats-Unis. Le problème vient du fait qu'on a titrisé ces crédits (on les a transformés en obligations, Sicav et autres placements). Et on les a vendus à l'ensemble des banques de la planète. Au départ, on a présenté ces titres comme étant des bons de placement rémunérés à plus de 10%. En fait, le mécanisme s'explique simplement ainsi. On va prêter à quelqu'un une maison qui vaut 100 000 dollars. On lui prête 100 000 dollars. Si au bout d'un an, deux ans, il ne rembourse pas, on va vendre sa maison à 150 000 dollars parce que l'immobilier grimpe. Second fait qui a aggravé la crise, on a pratiqué des taux d'intérêt variables. Les particuliers qui ont emprunté à 1% se retrouvent quelques années plus tard avec des taux de 5-6%. Donc, ils ne pouvaient plus rembourser leurs maisons. Les prix immobiliers ont alors chuté : trop de biens immobiliers étaient mis sur le marché. En conséquence, quand l'immobilier a chuté, les banques qui pensaient faire une plus-value (profit) sur la vente des maisons qui ont été achetées, au lieu de les vendre à 150 000 dollars, ils ont vendu à moins de 100 000 dollars. On voit des quartiers entiers aux Etats-Unis où il n'y a plus d'habitants. Les maisons sont invendables. Donc, toutes les banques étrangères qui ont acheté ces titres, ont subi des pertes colossales, d'où la faillite des banques américaines. Il y a eu l'effet cascade. Toutes les banques du monde ont été touchées. C'est le point de départ de la crise. Il y a eu la faillite de la banque américaine Lehmann Brothers. L'erreur stratégique de l'administration Bush, c'est qu'ils n'ont pas sauvé cette banque au nom du libéralisme. Ils l'ont laissé “couler.” Toutes les banques alors ne voulaient plus se prêter entre elles. On assiste à une crise de confiance. C'est bien après que les gouvernements ou le G20 se sont réunis pour décider de sauver toutes les banques en cas de faillite et de garantir les dépôts des particuliers et des entreprises. Ces Etats ont décidé qu'en cas de faillite d'une banque, ils vont rembourser totalement l'argent déposé pour éviter la panique. À cela s'ajoute les effets des produits financiers appelés LBO, des produits qui fonctionnent ainsi : on va acheter des actions à crédit et on va rembourser le crédit en revendant les actions plus cher. Avec cette crise, les spéculateurs ne pouvaient plus faire de plus-value. On a donc supprimé tous les systèmes de contrôle de l'origine de ces fonds, de leur traçabilité. Quelles sont les leçons à tirer de la crise ? Un gendarme est indispensable. Il ne faut pas supprimer les feux rouges ou les stops. On s'est rendu compte que les spéculateurs ne recherchaient pas l'intérêt général, mais leur intérêt. Ils ont d'ailleurs empoché de l'argent avant que le système ne s'écroule. Il faut donc plus de régulation, plus de contrôle de l'origine des titres. La Banque centrale, le gendarme de la Bourse et les Institutions financières internationales, comme le FMI, devraient renforcer leur intervention. Il convient également d'améliorer l'attribution des crédits. Il ne faut pas prêter à des particuliers et des entreprises qui ne sont pas solvables sachant qu'ils ne le sont pas. Il faudra renforcer le contrôle interne des banques et interdire la spéculation aux banques de dépôt pour protéger l'argent des déposants. Quelle sera la durée de la crise ? Selon la majorité des experts, on s'en sortira fin 2009. C'est de bonne guerre, qu'on rassure l'opinion publique. Les gouvernements ont intérêt à rassurer. J'estime que la crise durera deux à trois ans. En 2010, on serait au bout du tunnel. On va assister à un retournement de crise. Les particuliers et entreprises qui ont différé leurs achats vont se remettre à consommer. On va assister à une croissance forte à partir de 2010 dans le monde entier. Comment voyez-vous l'impact de la crise mondiale sur l'Algérie ? J'ai beaucoup écouté le Premier ministre et le gouverneur de la Banque centrale. Il ne faut pas se contenter de dire que l'Algérie est isolée par rapport à la crise. Il ne faudrait pas que cet argument puisse donner lieu à l'immobilisme. On peut continuer à réformer le système financier, à le moderniser, tout en évitant les erreurs de la crise. Il faut poursuivre la réforme bancaire et mettre en contact la Bourse d'Alger avec les Bourses mondiales. Par rapport aux prix du pétrole, j'ai entendu dire que les responsables de l'Opep ont décidé de réduire la production pour faire monter les prix du pétrole. Le problème aujourd'hui n'est pas un problème d'offre et de demande. C'est un problème de spéculation. Si les prix du pétrole ont augmenté jusqu'à atteindre 147 dollars, c'est parce que les fonds spéculatifs spéculaient sur le pétrole. Ces fonds spéculatifs ont perdu beaucoup d'argent. Ils n'ont plus d'argent pour spéculer sur le pétrole. Il faut s'attendre à ce que les prix du pétrole n'augmentent pas au-dessus de 100 dollars. Même si on baisse la production, on n'aura pas des prix du pétrole de 100 dollars. Eu égard à l'épuisement des ressources pétrolières de l'Algérie en 2030, je propose la création de deux fonds souverains. Un premier fonds souverain (en monnaie locale) sera là pour investir dans de vrais secteurs productifs en Algérie (industrie de transformation agroalimentaire par exemple et les industries de substitution aux importations. Tout ce qu'on peut produire localement et qui procure des économies en devises, en substitution aux importations). L'Algérie peut devenir en particulier un exportateur de produits pharmaceutiques en Afrique (au lieu des produits chinois qui peuvent être toxiques.) Ce fonds sera supervisé par des personnes qualifiées indépendantes. Le second fonds souverain en devises sera doté d'une enveloppe entre 20 et 40 milliards de dollars, qui serait là pour des acquisitions d'entreprises étrangères stratégiques pour notre pays et qui permettraient d'avoir une influence sur leurs projets, des retombées sur l'économie algérienne. Parce que ces entreprises sont aujourd'hui sous cotées, bradées. Il faut profiter de cette braderie. Les valeurs de ces fonds vont augmenter. L'histoire des marchés financiers sur 25 ans le démontre. Ces valeurs seront valorisées plus tard. On peut en récupérer le double. K. R.