À quelque chose malheur est bon, dit l'adage. Quand la terre avait tremblé en ce terrible 22 décembre 1999, en plein ramadhan, les Témouchentois avaient de quoi être pessimistes quant au devenir de leur ville. 1 260 jours après, la ville est totalement métamorphosée. Jamais cette wilaya oubliée n'aurait rêvé d'autant d'attention de la part du pouvoir central. Et elle a retrouvé le soleil, la vigne et le sourire. Une expérience de reconstruction hors du commun. Un vrai challenge que les sinistrés du dernier cataclysme pourraient méditer sous le prisme de l'espérance. De Aïn Témouchent à Boumerdès, histoire d'une Algérie fissurée. Une Algérie qui, pourtant, sait toujours se relever… Mercredi 22 décembre 1999- mercredi 4 juin 2003. 1 260e jour après le tremblement de terre. En débarquant dans cette charmante ville de 80 000 habitants qui se trouve à 71 km à l'ouest d'Oran, Yahia, notre reporter-photographe, qui somnolait, fixe avec de grands yeux cette succession de bâtiments qui s'étendent sur plusieurs kilomètres à l'entrée de la ville. Comme nous, il est littéralement sous le charme. C'est la nouvelle ville. Une véritable ville dans la ville. En compagnie de Mohamed Megueni, attaché de presse de la wilaya, nous y reviendrons le lendemain, jeudi, pour la visiter de plus près. Le projet est immense. Titanesque. Fabuleux. Une ville clé en main. Elle sera fin prête vers septembre, nous assure-t-on. On assure aussi que c'est Bouteflika lui-même qui viendra l'inaugurer, lui qui avait effectué une visite à Témouchent le 5 juin 2000 et avait promis de reloger les sinistrés dans les meilleurs délais. Promesse tenue. Comme nous le confirmera le wali, M. Mazouz El-Hocine, il n'y a plus aucun sinistré sous tente (voir entretien). La nouvelle ville est donc un chef-d'œuvre. D'entrée, le visiteur est scotché. Rien à voir avec la succession de bâtiments carrés et lugubres que l'on aperçoit tout au long de la route, du côté de Khemis-Miliana, Aïn Defla ou Chlef, ou encore nos cités-ghettos d'Alger. Baptisée colonel Othmane, la nouvelle ville compte un parc de 3 400 logements, dont quelque 2000 sont en voie de finition. Mais avant de s'étaler sur ce qui a été fait depuis le 22 décembre 1999, petit retour en arrière. 18h34, au milieu du f'tour Ce soir-là, le f'tour avait le goût des gravats et des dalles qui s'écroulent. “Il était exactement 18h34”, se souvient Mohamed. Les commensaux étaient encore à table. “C'était le quinzième jour du ramadhan”, précise encore Mohamed. Le séisme a duré quinze secondes. 5,8 sur l'échelle de la terreur. Le choc tellurique a été ressenti même à Oujda. Le séisme avait fait officiellement 22 morts et 247 blessés, dont 82 seront hospitalisés. Le vieux bâti amplifiera démesurément l'onde de choc. Ainsi, 4 323 unités bâties seront endommagées, dont 4 103 habitations (6 734 logements), 66 bâtiments administratifs, 59 infrastructures scolaires, 24 infrastructures hospitalières, 19 sportives et culturelles et 30 équipements industriels. Au total, les dégâts matériels au niveau des édifices publics avaient été estimés à 17 millions de dollars US. Outre le chef-lieu de wilaya, le tremblement de terre avait fortement secoué les villages de Sidi Ben-Adda, situé à 4 km et celui de AIn Tolba (13 km). D'ailleurs, c'est dans cette dernière localité que l'épicentre du séisme avait été identifié, plus exactement au lieudit Aïn Alem. “J'étais en petite tenue. Il faisait chaud à la maison. Je ne sais pas comment je me suis retrouvée dehors, en short, pieds nus. Toute la ville était plongée dans le noir. Il faisait froid. Tout était en ruines. C'était affreux !”, raconte Souad, 21 ans. Trois ans après le cauchemar, cette charmante employée du musée de la ville se verra sacrée Miss Témouchent 2002. Yasmine a 17 ans. Elle est en classe de terminale sciences humaines. Elle veut devenir journaliste ou, à défaut, aller à l'école de tourisme. Cette sémillante jeune fille est une victime vivante du séisme. Il lui a fait rater son année scolaire, et elle risque d'y laisser son bac. Témoignage : “J'ai attrapé plusieurs bronchites répétées après le séisme, car c'était l'hiver, et la vie sous les tentes était difficile. Sur le moment, j'ai tenu le coup. Il y a quelques mois, en janvier dernier, j'ai été hospitalisée. J'ai eu la tuberculose. Je suis restée quatre mois loin des cours. Le médecin m'avait interdit d'approcher mes cahiers”, confie-t-elle. Courageuse jusqu'au bout des ongles, Yasmine est loin de se laisser abattre. Elle s'est présentée quand même à l'examen. Tout sourire, elle prend plutôt la chose avec fair-play. Aujourd'hui, elle est totalement guérie et compte bien taquiner de nouveau sa bonne étoile. Contrairement à ce qui se dit ça et là, nous n'avons pas trouvé une seule famille sous tente à Aïn Témouchent. Cela ne signifie pas que la précarité des bâtisses endommagées à été éradiquée. Il y a encore du travail, cela va de soi. Suite au classement des habitations ébranlées, le bilan des sinistrés à été réduit à la baisse. Ainsi, alors qu'il avait été enregistré dans un premier temps 7 500 familles sinistrées, ce chiffre baissera au moins de moitié. 3 548 maisons seront classées rouge et orange, et pour lesquelles une enveloppe de 32 milliards de centimes fut déboursée pour les conforter. Dès le 9 juin 2000, 939 familles seront recasées. Pour cela, il a fallu réquisitionner tous les logements sociaux disponibles, soit 622 unités, auxquels il a fallu ajouter 317 appartements promotionnels. En outre, 250 familles avaient été logées provisoirement dans des F1 pour parer à l'hiver, et 58 autres logements avaient été mis à contribution pour regrouper deux ou trois familles présentant un lien de parenté, et ce, dans le but évident de mettre le maximum de personnes à l'abri, en attendant la livraison des premiers logements construits dans le cadre du programme de reconstruction de la zone sinistrée. Tous ceux qui ont visité Témouchent durant cette pénible période ont certainement dû remarquer ce magnifique camp de toile dressé sur les hauteurs de la ville, et que les Témouchentois avaient baptisé Minen, du nom du fameux camp qui domine la Mecque durant le hadj. De fait, le camp mis en place pour les sinistrés comptait des tentes de couleur blanche. Il s'agit d'un don saoudien de 1 200 tentes réparties sur 12 hectares. C'est ce méga-campement qui va servir de base de vie tout au long de la gestion de cette catastrophe. Nous avons visité le site qui lui servait de terrain. Sur ces traces est en train d'être élevé un hôpital monobloc de 240 lits, un chantier pris en main par les Chinois. À relever que la dernière opération de relogement des sinistrés s'est effectuée le 2 juin 2001. Entre-temps, il y a eu plusieurs vagues de recasement. Au final, 2 251 familles ont été relogées. Le programme global comptait 3 400 logements, à quoi devaient s'ajouter 800 logements dans le cadre de l'habitat rural. Une partie de ces 3 400 logements a été livrée. Restent 2 400 logements à livrer vers le mois de septembre, et qui vont servir en partie à recaser 1 154 familles dont les maisons, alors confortées provisoirement, menacent ruine ou présentent un aspect indécent. Ainsi, vers la fin de cette opération, la wilaya va se retrouver, fait inédit, avec un “surplus” de 1 246 logements qui seront probablement versés au social, après avoir restitué au “promotionnel” ce qui lui a été pris. Une ville parasismique C'est essentiellement grâce à un prêt de la Banque mondiale d'une valeur de 83 millions de dollars US que le somptueux projet de la nouvelle ville a vu le jour. À cela, il faudrait ajouter un prêt d'un million de dollars consenti par la Banque islamique de développement, ainsi qu'un don koweïtien consistant en une polyclinique baptisée du nom de son donateur, le prince Al-Sabbah. Au chapitre finances toujours, il ne faut pas oublier l'apport fort conséquent du Téléthon qui avait été réalisé en avril 2000 au profit des écoles de Aïn Témouchent, et qui avait drainé une somme de 37 milliards de centimes. Pour rassurer les âmes charitables qui avaient pris part à cette opération, l'argent du Téléthon a été utilisé à bon escient comme nous l'avons constaté de visu à travers ces dizaines d'établissements scolaires réalisés tant à Aïn Témouchent que dans les communes de Sid Ben Adda et de Aïn Tolba, et avec une comptabilité tatillonne. La nouvelle ville s'étale sur 51 hectares et sur plusieurs bâtiments. Ceux-ci sont d'une conception architecturale qui n'a rien à envier aux meilleurs logements promotionnels que l'on voit dans les quartiers huppés de la capitale. Outre les immeubles, les heureux locataires de cet ensemble trouveront tout à portée de main : une annexe administrative, un poste P et T, une antenne de sûreté, une polyclinique, des écoles, un lycée, des espaces verts, des aires de jeu, des placettes avec de magnifiques monuments, etc. Mais la merveille des merveilles, c'est le côté “cyber-ville” de cette cité. Jugez plutôt : grâce à un système de contrôle informatisé, l'ensemble du réseau AEP, le réseau d'assainissement, d'électricité, de gaz, de téléphone est supervisé par ordinateur. Ainsi, si une panne survient, celle-ci est aussitôt détectée et localisée, donnant lieu à une intervention chirurgicale au lieu de tout mettre sens dessus dessous. Il semblerait que ce mode de fonctionnement soit une expérience pilote du genre. Le parasismique, Miloudi Benyoucef, c'est son dada. Et pour cause : il a managé le programme de reconstruction de la ville de Chlef. Aujourd'hui, il est directeur de l'OPGI de Aïn Témouchent. Il est, de facto, le maître d'ouvrage des 3 400 logements prévus par le programme de reconstruction de la ville. Nous l'avons rencontré sur site. Le directeur de l'OPGI ne peut être que satisfait : “Au rythme auquel le chantier avance, nous ne pouvons que nous en féliciter surtout lorsqu'on voit une telle qualité de conception et de finition. C'est une véritable performance”, dit-il d'emblée. “Fin août, les 2 100 logements restants seront réceptionnés”, promet-il. “Chat échaudé craint l'eau froide”, lâche M. Benyoucef, la bouille fendue d'un sourire, lorsque nous lui avons posé la question de savoir si ces bâtiments construits à la hâte pouvaient résister à un séisme. “Le risque zéro n'existe pas”, fait-il remarquer en connaisseur prudent. “Mais nous avons pris toutes les précautions nécessaires pour construire antisismique. Le RPA 99 a été scrupuleusement respecté. Nous avons choisi les meilleurs entrepreneurs”, ajoute-t-il. Et de relever que Aïn Témouchent est passée aujourd'hui en zone II (aléas sismiques de magnitude supérieure à 5). A l'évidence, la ville est antisismique, comme en témoigne l'épaisseur des poteaux qui portent (et supportent) le gros œuvre. Toutes les mesures ont été prises afin de garantir une plus grande sécurité et une grande stabilité des ouvrages face aux “humeurs” de Dame Nature. Pour aller vite (et bien), le chantier est sévèrement contrôlé. Tous les jeudis, le wali débarque avec tout son “directoire” et inspecte de près les travaux. Nous l'avons d'ailleurs trouvé à l'œuvre ce jeudi 5. Les maîtres d'œuvre sont des nationaux, plus précisément des entreprises de la région : Oran, Béni Saf, Sidi Bel-Abbes, Tlemcen. “Ce qui nous a aidés, en prime, explique Mohamed, notre guide, c'est que nous étions gâtés en ce qui concerne les matériaux de construction. Béni Saf nous fournit le ciment, la sablière de Terga le sable, et El Malah le granulat. Les entrepreneurs ont dû doubler les équipes de sorte que le chantier avançait à une cadence infernale.” Un architecte qui a eu à travailler sur la conception des bâtiments de la nouvelle ville relate de quelle manière le projet avait été mené. “Il y avait un double contrôle. Avant le coulage, il y avait toujours un contrôle du béton par le maître d'ouvrage. Idem pour l'échantillonnage et son analyse en laboratoire. Nous avons également pris nos précautions pour la qualité et la quantité du ciment utilisé. Il faut savoir que les sacs de ciment actuels sont tous amputés de plusieurs kilos. Au lieu des 45-50 kilos réglementaires, ils vous fourguent des sacs de 35 kilos. Alors nous avons fait attention à cela aussi”, dit-il. Notre homme a toutefois un regret : “La seule chose qui me peine, c'est que, avec tout cela, les gens râlent. Ils veulent toujours plus. Si c'étaient des étrangers qui avaient mené le projet, nul n'y trouverait à redire. On doute toujours des compétences nationales.” Outre le visa du CTC, les Américains auraient exigé un double contrôle, soit une contre-expertise. Ils allaient mettre un bureau d'étude européen. Finalement, en voyant la qualité de travail du CGS, celui-ci a été désigné pour valider les contrôles du CTC, nous explique-t-on. M. Miloudi affirme d'ailleurs que c'est le CGS qui a effectué les études géotechniques du sol. “Il y a un terrain qui avait été retenu pour la construction de 90 logements. Suite aux réserves émises par le CGS, cette partie du projet a été modifiée et le terrain en question est devenu une aire de jeu”, dit-il. Maintenant, un problème majeur guette Aïn Témouchent, c'est la restructuration de l'ancien centre-ville où plusieurs poches sont dégagées suite à la destruction du vieux bâti. Mais cela est une autre histoire… (à suivre). M. B.