Les structures citoyennes de Aïn Témouchent ont capitalisé une expérience fort intéressante en matière de gestion de l'après-séisme. Après la rude bataille de la prise en charge des sinistrés, l'accent est mis sur la prévention. Salah-Eddine Barkat est ingénieur en topographie et travaille dans le cadastre. Cet homme jovial et loquace est le président d'une association qui a joué un rôle important dans la gestion de l'après-séisme à Aïn Témouchent : l'Association des sinistrés et des victimes du séisme (ASVS). Comment était organisée la vie dans les camps ? Comment était acheminée l'aide ? Comment étaient distribués les dons ? Comment a été gérée l'opération de relogement des sinistrés ? Autant de questions qui nous interpellent en ces temps douloureux où le cauchemar du 22 décembre est porté le 21 mai au centuple. Et l'ASVS est assurément bien placée, de même que d'autres structures officielles ou citoyennes, Croissant-Rouge, Protection civile, etc., pour prodiguer quelques conseils utiles à leurs frères sinistrés du centre du pays. Première chose sur laquelle insiste beaucoup Salah-Eddine Barkat : l'information. Pour lui, le plus urgent, c'est de faire circuler l'info et ne pas laisser les familles dans le flou et l'incertitude. D'autant plus que les circonstances sont propices à amplifier les rumeurs les plus folles. “Notre rôle, c'était de servir d'intermédiaire entre les sinistrés et les autorités. Rien ne se faisait sans nous. Et notre cheval de bataille, c'était la communication. Il a fallu tout de suite installer un climat de confiance entre les pouvoirs publics et les familles, et pour cela, rien de tel que la transparence”, dit M.Barkat. La mission n'était pas simple. L'ampleur des dégâts était telle qu'Aïn Témouchent était devenue une ville-camping. Oui. Une ville en toile. “Il y avait 1200 tentes dans le camp de Minen. C'était une ville en soi, avec un réseau AEP, des sanitaires, une annexe administrative, un centre de sûreté, un cumulus pour l'eau chaude, une poste et même des cabines téléphoniques”, dit Salah-Eddine. Il fallait donc une bonne organisation pour maîtriser la situation, les nerfs et les esprits. Et pour ne citer que le mécanisme d'acheminement des aides, l'expérience témouchentoise est vraiment à méditer. Le président du CRA, M. Abid Abdelaziz, raconte : “Les sinistrés avaient un délégué pour chaque quartier. Un tableau était affiché à l'entrée du hangar de dépôt des dons, indiquant les quantités de denrées reçues et les dons sortis. Chaque délégué avait une journée par semaine pour approvisionner les familles qu'il représente. Celles-ci expriment leurs besoins. Un bon de commande en trois exemplaires est délivré. Nul n'entre dans le hangar sans autorisation. Le délégué se fait servir. À sa sortie, le camion est contrôlé au poste de police. De cette façon, il n'y avait aucune chance de détournement des denrées, et tout le monde avait sa part.” Salah-Eddine Barkat nous invite chez lui. Il occupe aujourd'hui un bel F4 en lieu et place de sa maison détruite. L'homme croule sous une montagne de documents de tout bord. “Notre association est une véritable administration”, reconnaît-il. Il s'attelle aujourd'hui à dresser le bilan de tout ce qui a été fait et entrepris depuis le 22 décembre 1999. Une foultitude de notes, de tableaux, de courbes et de chiffres jaillissent des documents de M.Barkat. Il a consigné et suivi pas à pas tout ce qui a été réalisé pour les sinistrés. Son rapport sera adressé officiellement aux pouvoirs publics et sera considéré, désormais, comme une référence. “La première semaine, nous étions complètement perdus”, se souvient-il. “C'est normal. C'est la première fois que nous étions confrontés à une catastrophe naturelle et nous ne savions pas comment nous comporter face à un tel sinistre. On n'a pas la culture du risque.” Durant la première semaine, 22 sites seront créés, ou plutôt, des zones de regroupement. Passée cette étape, il fallait œuvrer pour assurer un retour à la normale au niveau des institutions. Et la gageure, c'était de faire rentrer à nouveau les élèves dans les classes quand on sait que 59 établissements étaient touchés, dont 16 irrécupérables, et que 700 familles occupaient 18 établissements scolaires. “Il y avait 18 000 élèves à gérer. Il fallait les dispatcher intelligemment entre les différents établissements encore opérationnels. Nous avons ainsi transformé beaucoup d'écoles primaires en CEM, des collèges en lycées, et nous avons transféré les élèves par classes entières pour qu'il ne se sentent pas dépaysés. Eh ! bien, figurez-vous que cette année-là, on avait réalisé le taux le plus élevé de réussite au bac et l'année suivante aussi !” raconte M. Barkat. Du côté du CRA, une remarquable chaîne de solidarité était organisée pour finir le ramadhan dans les meilleures conditions possibles : “Pendant le ramadhan, nous avons installé des cuisines mobiles. Les familles étaient très solidaires les unes des autres et on échangeait les repas. Tout Témouchent était devenu une seule et même famille. C'était grandiose !” dit Abid Abdelaziz. Parallèlement à cela, le CTC c'était mis au travail, et un long travail d'expertise était entamé. 4103 unités bâti seront d'emblée dénombrées. “Notre association était impliquée à tous les niveaux de décision. Nous avons pris part à la cellule de crise, et à toutes les commissions”, dit M.Barkat. “Durant l'instruction des dossiers, il est apparu un problème de taille qui va se poser à Alger et Boumerdès, à savoir l'identification des biens expertisés”, prévient-il. “Le problème qui se pose partout après de telles catastrophes, c'est qu'il existe une anarchie totale dans le fichier immobilier. Le cadastre devrait être revu et mis à jour. Ce serai ainsi un instrument pour l'expertise dans la mesure où il permet l'identification des biens et leurs occupants. L'enquête a démontré que 44% occupent des propriétés sans titre. D'où l'apparition de ce qu'on appelle les "omis". C'est une catégorie de sinistrés oubliés lors des premières expertises vu qu'ils ne figurent pas sur le fichier immobilier. Il faut que l'OPGI par exemple suive de près son fichier et sache qui occupe quoi, surtout qu'avec le phénomène de la vente au pas de porte, il est difficile d'identifier les réels occupants.” Durant la première opération de relogement, et qui avait couvert 937 familles, les choses n'étaient pas faciles. Il fallait procéder par ordre de priorité. Là encore, le mouvement associatif a préparé le terrain d'une façon remarquable. “Nous avons fait un grand travail de proximité. La première vague de relogement est intervenue le 28 juin 2000. Avant de l'entamer, nous sommes passés sous les tentes discuter avec les familles pour voir les prioritaires. Les autres, nous les avons convaincus de patienter. Ils nous ont demandé juste des arrêtés. Nous avons arraché au total 495 préaffectations et ils ont été relogés dans des délais raisonnables”, témoigne l'ancien président de l'ASVS. Le capital d'expérience de Aïn Témouchent né dans la foulée de cette tragédie a été fructifié. Ainsi, un important séminaire a été organisé les 2 et 3 avril 2002 à Béni-Saf autour du thème de la gestion des risques majeurs. Le séminaire avait drainé des sommités scientifiques, et ses recommandations devraient être la bible du futur plan Orsec et tout dispositif en rapport avec la “politique” de l'urgence. C'est le mot : il faut penser une politique de la catastrophe, comme il existe une médecine de catastrophes. “Il faut impérativement instaurer une culture du risque. Nous insistons encore une fois sur l'urgence de la mise en place d'un dispositif d'information et d'un système d'alerte et les canaux qui la diffusent. Il faut revoir le plan Orsec et l'adapter en fonction de chaque sinistre. Il faut faire des simulations, il faut inculquer aux enfants, à l'école, les principes élémentaires du comportement à adopter en cas de catastrophe. Il faut éduquer les gens aux gestes qui sauvent. Il faut dégager à l'avance des zones sécurisées où ils doivent se réfugier ou se regrouper en cas de catastrophe.” À noter qu'en matière d'organisation des secours, Aïn Témouchent s'attelle depuis quelques mois à la formation de secouristes bénévoles parmi la population. Le colonel Chikhi, directeur de la Protection Civile, affirme que deux promotions de 60 personnes au total ont été formées par ses services. Ce sont les “Amis de la Protection civile”. “Il s'agit de bénévoles auxquels nous apprenons les "gestes qui sauvent", et qui sont mobilisés dès que survient une catastrophe”, explique le colonel Chikhi. Pour revenir au travail de réflexion sur la prévention des risques majeurs, il convient de noter que la wilaya de Aïn Témouchent a engagé une étude de micro-zonage pour cerner les aléas sismiques. L'étude a été menée par un bureau franco-américain : M2I-Géometrix. Celui-ci a d'ores et déjà localisé huit failles actives dans la région. “Il faut la mise en place d'un programme spécifique aux zones à risques. Il faut que le plan de résistance au risque et le plan d'exposition au risque soient opposables au tiers au même titre que le permis de construire”, commente M.Barkat. Pour lui, il est impératif de créer un organisme ou un observatoire autonome des risques majeurs, et qui soit directement rattaché à la présidence. M. B.