L'Etat chilien a lancé une enquête pour fraude et escroquerie après avoir versé à des familles des indemnisations pour des personnes faussement portées comme disparues sous la dictature d'Augusto Pinochet (1973-1990), une affaire qui soulève une forte polémique. Les autorités ont relevé jusqu'à présent le cas de quatre “faux disparus” sur la liste officielle de plus d'un millier de victimes répertoriées au cimetière général de Santiago. Certains sont encore en vie, d'autres sont décédés, mais leur mort n'a rien à voir avec le régime militaire du général Pinochet, tenu pour responsable de la disparition de plus de 3 000 victimes. La cour d'appel de Santiago a mandaté lundi le juge Carlos Gajardo afin d'enquêter exclusivement sur cette affaire qui, relève-t-elle, a “causé une grande émotion publique”. “C'est une affaire qui réclame qu'on s'y consacre de manière rapide et totale”, a indiqué Patricio Rosende, sous-secrétaire du ministère de l'Intérieur. Le scandale a éclaté après que l'Association des familles de détenus et disparus (AFDD) a révélé en novembre le cas de German Cofre, répertorié comme une victime de la dictature alors qu'il vit paisiblement à Buenos Aires, la capitale argentine. Officiellement, ce Chilien, aujourd'hui âgé de 65 ans, avait disparu dans l'un des sinistres centres de détention de l'armée chilienne, un mois après le coup d'Etat de Pinochet. En réalité, sa famille savait qu'il était en vie et a empoché sans scrupule les indemnisations de l'Etat, percevant ainsi environ 62 000 dollars. Parmi les autres cas d'escroquerie, qui ont été dévoilés la semaine passée, figure même celui d'une femme décédée en 1955, c'est-à-dire 18 ans avant même le coup d'Etat de Pinochet. Toutefois, la famille de cette dernière n'a pas bénéficié des deniers de l'Etat et la raison de son inscription parmi les victimes de la dictature reste mystérieuse. La cupidité ne semble en revanche guère faire de doute pour les proches des autres “faux disparus” recensés. L'un d'eux était un militant socialiste enterré dans le plus grand dénuement en 2006.L'ultime cas est celui d'un autre homme vivant à Buenos Aires. Là encore, les familles étaient au courant mais n'ont rien dit afin de continuer à toucher des indemnisations. Ces révélations ont secoué l'opinion publique dans ce pays encore divisé autour de l'héritage de l'ancien dictateur, dont les partisans ont toujours affirmé que le nombre des disparus avait été gonflé. La présidente socialiste du Chili, Michelle Bachelet, dont le père militaire fut assassiné sous les ordres de Pinochet et qui fut elle-même torturée sous la dictature, a affirmé qu'elle ne laisserait pas le doute ronger “la vérité historique”. “La violation des droits de l'Homme est une honte nationale qui a été gravée pour toujours dans la mémoire de notre pays, et nous n'allons pas permettre de laisser peser le doute sur la vérité historique”, a-t-elle lancé récemment. De leur côté, les familles des “authentiques” disparus reprochent à l'armée de n'avoir pas fourni d'informations fiables et au gouvernement de ne pas avoir opéré des vérifications approfondies. “Tout a été mal fait”, a déploré la présidente de l'AFDD, Lorena Pizarro. Conseillère de la présidence pour les questions des droits de l'Homme, Maria Luisa Sepulveda attribue aussi cette opacité au manque d'information des militaires de l'époque. “Les autorités qui ont ordonné les détentions et les assassinats n'ont jamais apporté l'information qui serait nécessaire pour réaliser un recensement sûr à 100%”, dit-elle. Mis en cause dans plusieurs affaires de violation des droits de l'Homme, le général Pinochet est décédé, en décembre 2006, à l'âge de 91 ans, sans avoir jamais été condamné. R. I./Agences