«La quête du sens de ces vies engagées nous conduira dans les sous-sols d'un pays amnésique où les morts ne sont pourtant pas morts et où les jeunes inventent, une nouvelle fois, un rêve.» Le film documentaire Rue Santa Fe, de la réalisatrice chilienne Carmen Castillo, qui relate son parcours de militante, a été projeté samedi dernier en avant-première à Oran, devant un public oranais vite conquis par le caractère saisissant de l'oeuvre. C'était un grand événement culturel, car la salle était pleine. Rue Santa Fe a réussi à faire revenir le public cinéphile dans toute sa composante; il y avait des universitaires, des artistes, des femmes, des enfants et beaucoup de personnes âgées. Rue Santa Fe, le 5 octobre 1974, dans les faubourgs de Santiago du Chili, Carmen Castillo est blessée et son compagnon, Miguel Enriquez, chef du Mir et de la Résistance contre la dictature de Pinochet, meurt au combat. C'est le point de départ de Rue Santa Fe, voyage sur les lieux du présent. Tous ces actes de résistance en valaient-ils la peine? Miguel est-il mort pour rien? Au fil des rencontres, avec la famille, les voisins de la rue Santa Fe, les camarades, leurs vies, leurs visages, Carmen Castillo parcourt un chemin qui va de la clandestinité à l'exil, des jours lumineux d'Allende aux longues années sombres de la dictature, avec tous ceux qui ont résisté à cette époque et ceux qui résistent encore aujourd'hui. Se tisse l'histoire d'une génération de révolutionnaires et celle d'un pays brisé. La quête du sens de ces vies engagées nous conduira dans les sous-sols d'un pays amnésique où les morts ne sont pourtant pas morts et où les jeunes inventent, une nouvelle fois, un rêve. C'est dans ce sens que l'oeuvre de la réalisatrice interroge la mémoire, la sienne et celle des membres de sa famille et de ses anciens voisins de la «calle Santa Fe», à Santiago de Chili, pour savoir ce qui s'est vraiment passé dans cette rue, le 5 octobre 1974. Les témoignages recueillis auprès des uns et des autres, Carmen Castillo les commente en voix off en s'appuyant également sur ses propres souvenirs, ayant vécu elle-même à la maison N°725 de cette artère de la capitale chilienne avant d'être arrêtée pour son militantisme opposé au régime dictatorial d'Augusto Pinochet. Son mari, Miguel Enriquez, jeune chef du Mouvement révolutionnaire (MIR) qui avait apporté son soutien au président Salvador Allende, destitué en 1973 suite au coup d'Etat militaire ordonné par Pinochet, meurt au combat alors qu'elle est blessée. A travers son travail de mémoire, dont le titre est aussi intitulé De défaite en défaite jusqu'à la victoire finale, Carmen Castillo apprendra le nom du voisin qui avait appelé l'ambulance pour l'évacuer vers l'hôpital de la rue où elle gisait inconsciente après avoir été blessée et traînée par la police politique de Pinochet. Elle ira à la rencontre de cet homme encore en vie qui lui affirme alors que son mari Miguel Enriquez, avait encore la possibilité de fuir ce jour-là, mais qu'il avait décidé de rester à ses côtés, se refusant à l'abandonner. Ces premières révélations seront déterminantes pour la réalisatrice et auront un impact direct sur le poids émotionnel du long métrage, tant la douleur des souvenirs y est omniprésente. Après avoir perdu son compagnon et l'enfant qu'elle portait de lui, Carmen Castillo est expulsée, l'année même, de son pays où elle ne remettra véritablement les pieds que trente années plus tard, hormis un premier retour en 1987 effectué à la demande de son père qui avait réussi à décrocher une permission auprès de l'administration Pinochet. Son film explore le passé mais va au-delà de l'anecdote personnelle, car la cinéaste s'est donné tout le temps nécessaire, soit plus de 2h40, pour faire la lumière sur ces sombres pages de l'histoire de son pays. Elle retourne donc dans la ville où elle fut née en 1945 pour se rendre à l'habitation familiale, sise rue Santa Fe, évoquant au fil des séquences, le passé et le présent des visages qu'elle croise sur son chemin. «C'était ça le bonheur: chaque minute vécue comme si c'était la dernière...», dit-elle dans ce film, en se remémorant les années du militantisme révolutionnaire jusqu'au retour de la démocratie dans son pays en 1990. Rue Santa Fe a été projeté à l'Institut culturel espagnol Cervantès dans le cadre de son cycle «ciné latino-américain». En plus de ce film qui avait été officiellement sélectionné au Festival de Cannes 2007, dans la catégorie «un certain regard», Carmen Castillo a réalisé d'autres documentaires dont Flaca Alejandra qui lui a valu plusieurs récompenses. Egalement historienne et écrivaine, elle a aussi à son actif une bibliographie importante inspirée de son propre parcours.