Sur des rites aussi divers que nombreux qui rythment les années, la datation et l'organisation du temps sont une des plus vieilles activités de l'homme. Quels que soient les pratiques traditionnelles, les renvois aux phénomènes mythologiques ou la référence à la conjecture, l'ensemble repose sur l'observation expérimentée appelée procédé algorithmique et auquel la science du domaine cosmique ne semble pas s'opposer. Ces usages traditionnels revêtent une marque culturelle utile et nécessaire qui peut expliquer les évènements mais aussi une meilleure compréhension des faits historiques et socioculturels des différents peuples. Le monde de l'agriculture étant le plus universel héritage humain a fixé des indications douées d'une logique de la division du temps caractérisée par une extrême précision dans sa subdivision en saisons, en motions lunaires et en organisation du jour. En effet, les changements des saisons et les différentes intermittences de la végétation, les influences et les variations qui ont cadencé la vie sédentaire et rurale, l'observation des positions alternatives de la lune et du soleil, alors seuls astres visibles à l'époque, sont autant d'arguments qui ont permis, depuis des lustres, d'ordonner le temps. Les saisons, les mois et les segments du jour portent partout dans le monde un nom dont la signification va d'elle-même suivant la culture locale. C'est ainsi que l'homme a pu fixer l'agencement de ses activités. C'est la naissance du calendrier agraire. Viennent ensuite se greffer sur ce calendrier des évènements historiques et des faits religieux séparés des observations naturelles et cycliques du temps dont ils ne dépendent pas. Des pays appartenant à une zone géographique donnée du globe subissent les mêmes fluctuations du temps que le phénomène de la colonisation a souvent contrarié dans leur état naturel. Pour sujet d'exemple, l'organisation officielle et actuelle du temps en Afrique du Nord est encore la reproduction du produit de la colonisation. Le début officiel des saisons est calqué sur les mêmes dates et jours de l'année qu'en Europe. Ainsi donc en Algérie, l'hiver est fixé mécaniquement au 21 décembre alors que naturellement, il débute le 29 novembre, que le printemps arrive chez nous le 28 février et non le 21 mars, l'été démarre le 30 mai et que l'automne arrive le 30 août. Paradoxalement, dans nos campagnes et montagnes, les activités agricoles continuent de s'exercer justement selon notre calendrier naturel. Nous nous retrouvons ainsi anormalement alignés et d'une manière anachronique sur des influences climatologiques distinctes qu'il y a lieu de réajuster. Coïncidant avec seulement quelques jours de différence avec le calendrier de l'année universelle, Yennayer est la marque de la fin du cycle froid et le début du cycle chaud ou tempéré. Il est commémoré chaque 12 janvier de l'année grégorienne. Pour le célébrer, les Berbères, qui se réapproprient légitimement leur histoire longtemps confisquée, ont concilié un événement historique couplé avec la division du temps selon des considérations climatologiques cycliques citées plus haut. L'événement historique remonterait à 950 avant J.-C. avec comme première thèse, la présence en Egypte d'un roi berbère du nom de Sheshonk (Chachnaq 1er) qui serait parti, à la tête d'une puissante armée, depuis l'actuelle Tlemcen vers la vallée du Nil dans le Delta en Egypte pour sauver l'empire pharaonien alors menacé par un roi venu d'Ethiopie. On pense que c'est à partir de cette date mouvement que les Berbères ont commencé à dater le temps. L'autre thèse nous est rapportée par Malika Hachid dans “les Premiers Berbères, entre Méditerranée, Tassili et Nil” selon laquelle l'an zéro amazigh se réfère à 950 av.J.-C. date à laquelle le Berbère Sheshonk (Chachnaq 1er) fut intronisé dans les terres du Delta du Nil en Egypte où il fonda la XXIIe dynastie avec comme capitale Boubastis. Les deux thèses diffèrent très légèrement. Elles font référence à la même date (950 av J.-C.) et au même personnage historique autour duquel l'événement se rapporte. Partant de ces éléments, l'année berbère atteint aujourd'hui l'an 2959 c'est-à-dire : 950 av. J.-C. + 2009 de l'an grégorien). Hormis donc l'aspect strictement historique et culturel, il n'y a aucune prétention à vouloir devancer l'horloge universelle ou encore à être à sa traîne. La référence à l'année universelle est un standard qui s'impose de lui-même. Sur le plan linguistique, étymologiquement on peut proposer que le mot Yennayer est une composition de deux mots associés : “yen” qui indique le nombre premier ou le chiffre un et “ayer” signifie la motion “mois” avec ses variantes (ayir, ayur, aggur). Le fait le plus significatif à relever (par- delà le vestimentaire, le culinaire et autres coutumes et festivités qui ont lieu) Yennayer transcende toutes les sociétés nord-africaines qui continuent à le célébrer et marque ainsi une unité socioculturelle régionale historique. Abdennour ABDESSELAM