On peut ne pas l'admettre, mais le constat ne souffre d'aucun doute : Mohamed Allaoua s'impose comme la star de la chanson kabyle du moment. Il en a fait la preuve samedi soir devant 6 000 fans en transe qui ont envahi le Zénith à Paris, la salle inaugurée en 1984 par Renaud et qui a vu défiler de grands noms de la variété française et des musiques internationales. “De 13 à 30 ans”, a observé le sociologue Ahcène Zahraoui en regardant ce public de jeunes qui dansent en hurlant, se serrant et s'enlaçant. Et qu'on a du mal à croire liés à cette Kabylie rugueuse et austère mais qui reste un repère. ça semble n'être plus qu'un repère géographique. Et Allaoua, tout en suscitant un phènomène d'identification, semble aussi incarner un attachement à une communauté plutôt imaginaire. Car si les Kabyles sont nombreux à Paris et plus généralement en France, la Kabylie n'y est pas. Ce n'est pas tant l'absence du Djurdjura qui est en cause. C'est l'acquisition d'autres valeurs par une génération qui ne veut surtout pas retourner dans ces montagnes comme ont rêvé ses ascendants. “In t as ma d yas, a rebb i mennagh ad-yughal yib-was”, chantait El Hasnaoui pour exprimer l'espoir d'une femme attendant le retour de son promis parti en bateau. Aujourd'hui, ce serait plutôt “yad a wiy-i” (emmène-moi). Dans la foule qui a envahi le Zénith, une certaine proportion est imperméable aux métaphores d'Aït Menguellet, à la colère de feu Matoub ou aux complaintes de Yahiatène. Non par manque de conscience. Il y avait des bac + 10 dans la salle. C'est Allaoua qui semble être en phase avec cette génération. C'est une figure nouvelle dotée d'une belle voix. Sans être particulièrement élaborés, ses textes sont fluides et soft. Surtout, ses rythmes sont entraînants. Est-il à la confluence de plusieurs genres ou accumule-t-il les contradictions? La question peut être posée. Sur scène, il y a du Takfarinas en lui, même si l'auteur de Zâama s'est égaré sur le chemin de l'universalité qu'il a judicieusement voulu explorer. Il y a aussi du gnawi avec ses invocations de cheikh zaouïa qui lui valent (aussi) l'affection des grands-mères. Et une certaine tendresse qui fait chavirer les adolescentes. Le succès de Allaoua exprime la chute bienheureuse de ces murs parfois invisibles dressés entre les sexes. Une chanson gnawie évoque le cas de cet homme qui cherche à fracasser la porte d'une maison devant laquelle il venait de passer. Ses pas étaient suivis du bruit d'un pilon qu'il devinait entre les mains d'une femme qu'il ne peut bien sûr pas voir. Et voilà son imagination qui s'enflamme au point de le conduire à un coup de folie... Aujourd'hui, nul besoin de forcer le destin et de prendre ce risque pour parvenir à une rencontre entre un garçon et une fille. Sans être forcément libertin, l'amour est surtout charnel. Et la danse et la transe en sont de formidables vecteurs. C'est ce que Allaoua a compris ? A. OUALI