Seule l'action de solidarité peut sauver un enfant diabétique qui est appelé à organiser sa vie et à gérer sa maladie. Et la situation devient chaotique quand le patient est issu d'un milieu démuni. L'exemple de Amira et de Sami est édifiant à ce titre. Si pour le papa d'un enfant atteint d'une pathologie, c'est un sentiment tiré de son subconscient d'être responsable de la maladie de son enfant, pour la maman, c'est une double blessure. Celle de voir son enfant malade et celle d'être là et de ne rien pouvoir faire, sachant alors que le rôle d'une mère est de protéger ses petits. Liberté a partagé une journée entière avec deux familles d'enfants atteints de diabète. L'une d'elle est de conditions sociales acceptables avec deux parents qui travaillent dans le secteur de la santé en plus, l'autre est issue d'un milieu précaire dont la maman au foyer et le père au chômage un mois sur deux. Le cas d'Amira, qui est issue d'une famille de la classe moyenne, est édifiant. Amira, un petit bout de chou à peine âgée de dix ans, est atteinte du diabète. Le diagnostic de l'endocrinologue médecin qui a confirmé l'hyperglycémie de Amira a fait basculer, de fond en comble, la vie paisible de ses parents et de leurs trois autres enfants âgés entre deux et quatorze ans. Comment s'y prendre ? Comment dire à son enfant qu'il va être malade toute sa vie ? Comment gérer cette maladie au quotidien ? Comment faire pour maintenir un semblant d'équilibre dans la famille ? Ce sont autant de questions qui ont taraudé l'esprit des parents dont l'enfant a été diagnostiqué diabétique. Salma et Ahmed, un couple à la condition sociale acceptable et habitant la cité de Bekira à Constantine, sont parents, outre d'Amira, également de quatre jeunes enfants. Ils accepteront de nous faire partager avec eux une journée de cet hiver constantinois. Amira, deuxième née de la tribu, présente un diabète insulino-dépendant, alors qu'elle n'a que dix ans. Le couple en question nous a expliqué que la maladie de leur fille est causée par l'incapacité de son pancréas à produire de l'insuline. Autrement dit, au stade actuel de l'évolution de la science, elle ne pourra jamais se passer de son injection quotidienne. “J'attendais mon troisième enfant lorsque nous avons appris que Amira était diabétique. Elle était âgée, alors, de vingt et un mois. Elle commençait à perdre du poids et urinait plus que d'habitude”, raconte Salma. “Etant moi-même dans le secteur de la santé, j'ai soupçonné une cystite (infection urinaire), avant que les médecins que nous avions consultés à l'époque confirment que ma petite fille avait un diabète. Mais je refusais toujours d'y croire, jusqu'au moment où j'ai décidé de m'en assurer par moi-même. J'ai prélevé des échantillons de sang que j'ai fait analyser dans le laboratoire où je travaille. Une fois les résultats parus, j'ai dû me résigner au fait que son taux de glycémie était trop élevé pour être une simple cystite. J'ai senti le monde s'écrouler autour de moi, car je réalisais que ma petite fille, qui n'est encore qu'un tout petit bébé, allait être malade jusqu'à la fin de sa vie”, continuera Salma, avec une voix tremblante qui laissait paraître l'émotion. Suite à quoi, Amira sera hospitalisée pendant quatre jours, le temps que ses parents, pourtant des professionnels dans le monde de la santé, retrouvent leurs repères et décident de la prendre en charge à la maison. Avant, Amira ne comprenait pas pourquoi elle devait, quotidiennement, recevoir une dose de cet étrange liquide transparent qu'on appelle insuline, qui la maintenait en vie. “Elle n'arrêtait pas de poser des questions. Elle voulait savoir pourquoi et comment elle s'est retrouvée dans cette situation. Pourquoi il n'y a que moi qui suis malade, maman, me disait-elle, en référence à ses trois autres frères et sœurs”, raconte Salma avec beaucoup d'émotions, évitant du regard ses enfants qui étaient avec nous dans la pièce. Comment vivre avec son diabète Le bon contrôle de la glycémie passe non seulement par une adaptation des quantités d'insuline mais aussi par l'auto-surveillance. Aujourd'hui, du haut de ses dix printemps, Amira semble réconciliée avec son mal. Elle vit avec, car elle réalise qu'elle n'est pas seule à souffrir du diabète. Elle a beaucoup de camarades de classe qui en sont atteints. Son entourage, en plus de sa famille, l'a, en effet, aidée à vivre avec le diabète. “Quand elle était petite, elle nous réveillait trois à quatre fois dans la nuit. Aujourd'hui, quand elle commence à ressentir de la faiblesse, elle se lève toute seule, prend un morceau de sucre ou un bout pain et retourne se coucher”, raconte Salma. Amira n'a pas de régime alimentaire strict, car elle est en pleine croissance. “Nous avons mis en place un budget spécial aliments light. Car nous ne pouvons pas la priver. Allez donc dire à un enfant de ne pas manger de bonbons”, lance sa maman. Si dans certaines familles, le fait que des parents affichent une attention particulière pour un enfant, qu'il soit malade ou parfaitement sain, attise la jalousie des frères et sœurs, c'est loin d'être le cas chez la famille d'Amira. Son frère Farès, plus jeune qu'elle de deux années, la surveille comme si elle était la prunelle de ses yeux. À l'école, il ne la quitte pas d'une semelle, de peur qu'il ne lui arrive quelque chose, pourtant, ce petit bonhomme n'a que 8 ans, et loin d'être assez mûr pour comprendre vraiment la complexité de la situation. Leurs parents, quant à eux, la comprennent très bien. Si bien que le diabète de leur fille a failli faire éclater leur foyer. Aujourd'hui, Salma et son époux essayent, tant bien que mal, de maintenir un équilibre dans leur vie de famille mais aussi dans leur vie de couple… car cette dernière a connu quelques turbulences. “Nous avons eu beaucoup de mal à nous retrouver mon mari et moi. La maladie de notre fille a dressé un mur entre nous. On parlait pour ainsi dire jamais de ce qu'on ressentait vraiment. Il nous a fallu faire beaucoup de sacrifices pour retrouver un certain équilibre familial et, Dieu merci, nous y sommes arrivés”, confie notre hôte. Si d'un point de vue relationnel avec son époux et ses enfants, Salma a réussi à maintenir le cap, d'un point de vue socio-économique, elle a dû faire beaucoup de sacrifices, bien que dérisoires, comparés au bien-être et à la vie de sa fille. “Notre monde ne tournait qu'autour d'Amira. Si bien que nous avons mis de côté toute notre vie sociale. Nous ne voyons plus nos amis… ni même notre famille”, dira Salma. Mais, contre toute attente, elle réussira à concilier sa vie professionnelle, de laborantine, et sa vie de mère et femme au foyer. “Au départ, c'était difficile, mais aujourd'hui, nous avons tous pris le pli”, conclut notre hôte. Le diabétique dans une famille pauvre Pour les parents de Sami, le problème se pose avec acuité. Son papa est chômeur et Radia, sa maman, est mère au foyer. Ils vivent dans un minuscule F2, de la cité Sotraco, dans la banlieue constantinoise. Trois enfants à leur charge et aucune source de revenus constante. À ces conditions sociales et économiques indécentes, vient s'ajouter cette nouvelle pour le moins inattendue, tombée comme un couperet après un banal check-up chez le médecin, suite à une forte angine. Du haut de ses douze ans, Sami a un diabète de type I. Mais dans son cas, comme nous l'a affirmé sa maman, l'insuline n'est pas obligatoire. Leur navire prend l'eau de tous les côtés, en dépit de l'aide, même dérisoire, apportée par leur grand-mère. Cette dernière est décédée, il y a quelques mois, et l'unique bouée de sauvetage est partie avec elle. Le père de Sami travaille, au plus, 6 mois par an et les quelquefois où il réussit à décrocher un emploi, le pécule lui rapporte à peine de quoi subvenir aux besoins quotidiens. Difficile pour cette famille de joindre les deux bouts. Mais il y a Sami… ce petit maigrichon, mais plein de vie. Le sourire n'a pas quitté ses lèvres tout au long de la journée qu'on a passée entre les murs de sa maison. Ses deux aînés, âgés de quatorze et dix-sept ans, sont plus intéressés par les matchs de football entre copains que par la maladie de leur frère. S'agit-il de cette indifférence passagère propre aux adolescents ou s'agit-il tout simplement d'une tentative désespérée de vouloir oublier les méandres de la malvie ? En tout cas, ils ne sont pas sans ignorer que leur cadet a une maladie chronique dont il ne peut se débarrasser. “Oui, je sais que j'ai le diabète”, répond Sami timidement à notre question. Il ignore, cependant, que sa maladie nécessite un suivi médical constant et un régime alimentaire adéquat, d'autant qu'il est scolarisé. Mais, comment satisfaire ces deux servitudes, si l'on a à peine de quoi vivre. “Mon fils vit avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Mais, contrairement à ce qui devrait être, c'est Sami qui nous donne la force de continuer et de ne pas baisser les bras”, dira, presque en pleurs, Radia. Elle va plus loin, en remerciant Dieu que le diabète de son fils ne nécessite pas d'insuline, car un traitement de trois mois coûte autour de dix mille dinars, entre insuline et bandelettes. On savait que le diabétique est appelé à organiser sa vie pour bien gérer sa maladie. Mais, à travers cette enquête, on découvre que c'est tout le mode d'organisation et même d'expression sentimentale de la famille d'un enfant diabétique qui doit s'y adapter. La situation devient chaotique quand le patient est issu d'un milieu démuni. Seule l'action solidaire de la société peut sauver la vie de l'enfant diabétique, l'avenir de ses frères et sœurs et la stabilité de la relation entre ses parents. Un enjeu psychosocial plus que médical proprement dit. L. N.