Dans le classement annuel de la Banque mondiale “Doing Business”, l'Algérie figure parmi les pays où le climat des affaires est des plus mauvais. Dans le classement de 2009, nous sommes à la 132e place, en régression même par rapport à celui de 2008 où nous étions à la 130e sur 181 pays figurant dans ce classement. Nous sommes aussi loin de notre voisine, la Tunisie, qui est classée respectivement à la 81e puis la 73e place. On dira, voilà un classement supplémentaire qui donne la mesure des faiblesses générales de notre pays. Mais ce classement a une importance particulière parce qu'il agrège beaucoup de faiblesses en même temps et qu'il révèle un problème grave pour l'Algérie : notre incapacité continue à offrir à notre économie les moyens suffisants de se développer. Dit plus crûment, ce classement montre que l'Algérie est en panne de développement économique et creuse chaque année son retard sur les autres pays. Dans leur conception, les indicateurs utilisés par la Banque mondiale pour établir son classement visent surtout la qualité de l'environnement de l'investissement pour les promoteurs privés. Mais si on regarde plus spécialement l'environnement des opérateurs publics algériens, on s'aperçoit que le climat des affaires leur est encore plus contraignant. Mon expérience à la tête de plusieurs entreprises publiques algériennes — dans des secteurs aussi divers que les finances, la communication, le BTPH et maintenant le transport aérien — m'a donné l'occasion de prendre la mesure de ces contraintes. Pour illustrer ces contraintes, je citerai quelques-unes auxquelles je suis confronté aujourd'hui depuis ma nomination à la tête d'Air Algérie il y aura bientôt une année. Comme tout le monde le sait, dans l'industrie du transport aérien, la demande connaît des variations importantes, et les compagnies aériennes sont amenées à moduler en conséquence leur offre de sièges. Dans le cas d'Air Algérie, nous devons faire face à deux périodes particulièrement chargées : la période estivale coïncidant avec le retour de nos émigrés et la période du hadj. Pour cela, la compagnie affrète des avions chez d'autres compagnies ou des sociétés spécialisées dans la location pour compléter les capacités de sa propre flotte. Dans notre contexte algérien, le nombre de procédures pour réaliser une opération d'affrètement est de 15 ! Et le délai minimum pour faire aboutir une opération d'affrètement est de quatre mois dans le meilleur des cas. Ces délais longs font qu'Air Algérie n'est pas en mesure de saisir les bonnes opportunités pour conclure les opérations les plus avantageuses. Dans un marché de l'affrètement qui est assez comparable à celui des produits boursiers, il faut prendre des options le plus vite possible pour avoir les meilleures conditions. Les procédures qui sont imposées à Air Algérie font qu'elle est fatalement amenée à affréter à des coûts toujours les plus élevés… avec les conséquences que l'on imagine sur sa rentabilité. Une autre contrainte que rencontre Air Algérie se situe au niveau de la maintenance de ses avions. Dans le transport aérien, un avion cloué au sol représente une perte sèche de plusieurs centaines de milliers de dollars par heure d'immobilisation. Aussi, une gestion saine exige qu'on fasse voler au maximum les appareils. Cela suppose une organisation efficace de la maintenance des avions et donc la possibilité de s'approvisionner rapidement en pièces de rechange quand cela est indispensable. Dans le monde de l'aérien, ces situations sont parfaitement connues : les compagnies aériennes mettent en place des procédures ad hoc d'approvisionnement en urgence des pièces de rechange nécessaires pour réparer le plus vite possible l'avion immobilisé. La réglementation algérienne ne permet pas à Air Algérie de recourir à de telles procédures. Et, parfois, quand on a voulu s'affranchir de cette contrainte, des responsables de la compagnie se sont retrouvés derrière les barreaux ! À travers ces deux contraintes — et il y en a bien d'autres —, on comprend pourquoi Air Algérie ne peut pas se mesurer efficacement aux compagnies aériennes concurrentes : elle ne dispose pas des mêmes armes pour assurer sa compétitivité ! Comme on le voit, l'environnement des entreprises publiques algériennes est aussi contraignant, sinon plus, que celui des opérateurs privés, algériens ou étrangers, opérant dans notre pays. Ce constat n'est pas nouveau. Au-delà du classement “Doing Business” de la Banque mondiale, les hommes d'affaires et les responsables d'entreprises publiques ont toujours voulu tirer la sonnette d'alarme pour alerter les pouvoirs publics sur la nécessité d'améliorer substantiellement le climat d'affaires. La régression que l'on constate d'année en année montre que nous n'avons toujours pas pris les mesures indispensables pour redresser la barre. À mes yeux, cela n'est pas tant dû à un manque de volonté politique, mais plutôt à un mauvais diagnostic… et donc à de mauvaises solutions. Le bon diagnostic, en paraphrasant l'ex-président Reagan, c'est de reconnaître que “le problème, c'est le gouvernement”. Dans le célèbre propos de Reagan, le mot “gouvernement” veut dire “administration”. Ce n'est donc pas un gouvernement algérien particulier qui est concerné mais plutôt l'incapacité de l'administration algérienne à concevoir et à mettre en œuvre des dispositifs efficaces pour offrir un cadre propice aux entrepreneurs. Ce qu'il faut admettre, au moment même où partout au monde on redécouvre les vertus de l'implication de l'Etat dans la sphère économique, c'est que l'administration algérienne s'est beaucoup appauvrie avec le temps. Nos ministères et autres institutions spécialisées ont beaucoup perdu de leur substance, incapables d'attirer les compétences dont ils ont besoin pour concevoir et mettre en œuvre les réformes nécessaires. Or, aujourd'hui, les pays qui gagnent, ce n'est pas seulement en raison de la compétitivité de leurs entreprises mais aussi, et surtout, de la compétitivité de leur administration. Les exemples du Japon hier, de la Corée du Sud et de Taiwan ensuite, de la Malaisie, de la Tunisie et du Maroc aujourd'hui ont montré que l'amélioration des performances de leurs entreprises passe par une administration de qualité, regroupant des compétences de haut niveau, parfaitement au fait des enjeux mondiaux et capables de concevoir les réformes de fond dans la façon de supporter les entrepreneurs. Tant que l'administration algérienne restera figée en un modèle fondamentalement bureaucratique, avec des cadres mal payés et peu considérés, le climat des affaires en Algérie ne pourra que se détériorer davantage. Et son économie perdra tout espoir de se redresser et d'être, un jour, compétitive. A. B.