Le scandale qui vient d'être mis à jour, au sujet du chef d'antenne de la CIA à Alger, relance le débat sur les liaisons entretenues par les services de renseignements étrangers avec les acteurs nationaux de la vie politique et associative. Le représentant des renseignements américains à Alger voulait utiliser une femme, l'une de ses deux victimes, membre du mouvement associatif, pour qu'elle travaille pour son compte. L'espion en chef est tombé dans son propre piège. Mais, au-delà de cet “incident”, c'est toute la relation entretenue par les chancelleries, et leurs services de renseignements, avec les acteurs de la vie politique et associative locaux qui est pointée du doigt. L'on se souvient des remontrances de Abdelaziz Belkhadem, alors chef du gouvernement, à l'endroit de l'ancien ambassadeur américain, M. Ford, pour ses audiences répétées avec des leaders politiques et syndicaux. Le malaise du gouvernement algérien ainsi exprimé renseignait sur la gêne qu'éprouvait Alger devant de tels comportements. Belkhadem avait également rappelé à l'ordre une ONG allemande qui avait multiplié les forums sur les questions internes, jusqu'à irriter au plus haut point les autorités algériennes. Mais l'incident le plus marquant remonte à 2004, en pleine campagne électorale pour la présidentielle, lorsqu'un autre responsable du renseignement, de l'ambassade de France, s'était totalement investi dans la campagne en faveur d'Ali Benflis et tenait réunion sur réunion avec des acteurs de la scène politique nationale. Il est vrai que le responsable en question a été rappelé à Paris, tout comme le fut récemment le chef d'antenne de la CIA mais ces trois faits, portés à la connaissance du grand public, renseignent à quel point les liaisons entre les services de renseignements et les acteurs de la vie politique et sociale restent dangereuses, voire compromettantes. Les chancelleries, leurs services de renseignements et les bureaux d'études internationaux sont censés faire des rapports périodiques sur les pays où ils exercent et ils puisent leurs informations chez “les autochtones”. Cela est connu de par le monde. Que des leaders de partis, d'associations ou des chefs d'entreprise soient reçus par des ambassadeurs, cela fait partie du travail des uns et des autres, mais que cette liaison dépasse le seuil des relations de coopération et d'échanges de points de vue, cela dépasse le cadre diplomatique et cela rappelle de tristes épisodes vécus par l'Algérie durant les premières années de multipartisme. L'on se rappelle du fameux “diplomate” américain venu remettre une mallette aux dirigeants de l'ex-FIS en pleine tourmente politique de l'année 1991. On se rappelle aussi de l'implication de nombreux services secrets étrangers dans des affaires liées au terrorisme en Algérie. L'Algérie, il est vrai, était devenue un terrain propice à tous les espions du monde, qui essayaient de comprendre et d'analyser le nouveau phénomène de l'islamisme politique et son expression la plus violente : le terrorisme. Les multiples démembrements de la nébuleuse, notamment à Washington, Paris, Londres, Rome et Bonn, sans oublier l'Afghanistan et les autres pays musulmans ayant soutenu l'islamisme radical à ses débuts, a fait qu'Alger se transforme en sorte de Berlin de l'après-guerre mondiale, un véritable nid d'espions où tous les coups bas étaient permis. Mais il n'y a pas que ça. Car, en ce moment précis, l'Algérie connaissait d'autres bouleversements dans le secteur économique, avec l'enterrement du socialisme et les premiers pas dans l'économie de marché. Les appétits des grands de ce monde se concentraient à cette époque, au Sahara où le pétrole faisait courir les majors du secteur. Mais ce n'est pas tout, le secteur économique, avec tout ce qu'il a d'attirant et de rentable attisait aussi toutes les envies. L'arrivée de Bouteflika au pouvoir allait accentuer cette course aux richesses de l'Algérie. Mais, surprise, Bouteflika fait jouer la carte de la concurrence pour contrarier, un peu, l'esprit de “chasse gardée” bien entretenu par les Français, mais aussi tempérer les ardeurs des Américains soucieux d'avoir de nouvelles zones d'influence. Bouteflika joue ses jokers : les Chinois, d'une part, et ses amis des pays du Golfe, d'autre part. Et si l'on ajoute à ce tableau les nombreux conflits nés ces dernières années dans la région qui nous entoure et sur lesquels l'Algérie ne pouvait rester indifférente, il y a de quoi faire travailler, à plein régime, tous les services de renseignements des chancelleries accréditées à Alger. On le voit bien, les espions ne viennent pas en Algérie uniquement pour se faire plaisir. Ils viennent bosser, ramasser le maximum d'informations, grâce à la collaboration, souvent inconsciente, des acteurs politiques et du mouvement associatif. Azzeddine Bensouiah