L'Europe va-t-elle revoir son approche par rapport au sud de la Méditerranée ? Cette idée a été suggérée, hier, par Jean-François Coustillière, lors d'une conférence organisée par l'Institut national des études stratégiques globales (INESG), à l'hôtel Hilton (Alger). L'ancien contre-amiral de la marine française, aujourd'hui en retraite, s'est exprimé “à titre purement personnel”, mais il a quand même signalé, en sa qualité de membre de l'association Horizon-Méditerranée, que les “réflexions” développées par cette dernière sont soumises régulièrement aux instances européennes. “L'Union européenne est consciente que son destin est lié à celui des pays du sud de la Méditerranée”, a-t-il déclaré, dans son exposé consacré à “l'approche des USA et de l'Europe” dans l'espace méditerranéen. Pour l'intervenant, la Méditerranée, qui représente 28% du produit intérieur brut (PIB) mondial, est “un espace de fracture”, référence faite notamment aux systèmes politiques et aux questions économiques, démographiques et culturelles. Selon lui, elle est aussi “une zone de crises”, confrontée particulièrement au conflit du Proche-Orient, à la décolonisation inachevée du Sahara occidental et aux tensions entre la Grèce et la Turquie. La Méditerranée est enfin, d'après lui, “un espace de circulation” ou encore un espace d'échanges qui comptabilise “des flux d'immigration, des circuits de la drogue et de l'armement, qui sont potentiellement déstabilisants”. Dans cet espace, expliquera-t-il, les Etats-Unis et l'UE sont “des puissances qui confrontent leurs intérêts”. Mais, poursuivra-t-il, d'autres puissances s'intéressent également à la Méditerranée, telles que la Russie et la Chine. L'invité de l'INESG n'a pas caché ses appréhensions devant cette “région vulnérable” (la Méditerranée), réunissant “tous ces paramètres (qui) risquent de susciter le soulèvement des populations”. Une région dont la partie nord est aujourd'hui soumise à la crise financière mondiale et qui “aura des répercussions sur les pays du sud”. “Le fondement de la paix passe par l'amélioration des conditions de vie de nos populations respectives”, a affirmé M. Coustillière, en prônant “la solidarité” entre les deux rives. Plus encore, la solution réside, selon lui, dans la prise en compte des “3 enjeux principaux” que sont l'emploi, l'alimentation et l'eau, dans les politiques nationales et des relations entre les différentes parties de la Méditerranée. Par ailleurs, il a tenté de montrer que l'intérêt des USA en Méditerranée se distingue absolument de celui de l'UE. “Pour les Américains, la Méditerranée est un axe de pénétration dans la zone euro-méditerranéenne. C'est un accès aux ressources pétrolières et un accès permettant la sécurité d'Israël. Il n'y a pas d'intérêt de voisinage”, a énoncé M. Coustillière. Quant à “la stratégie américaine”, elle relève, selon lui, de “l'approche sécuritaire dans ce corridor”. “Tout ce qui est développement durable et sécurité de la Méditerranée n'est pas dans la priorité des Américains”, a-t-il soutenu. Mais, concernant la stratégie de l'UE, elle reposerait sur “la création d'un espace d'économies stables en fonction de ses propres intérêts”. Pourtant, l'intervenant notera également que “l'UE a certainement beaucoup de domaines qu'elle partage avec les Etats-Unis, mais il faut qu'elle distingue les domaines relevant de ses propres intérêts, qu'elle ne partage pas avec les USA”. Il a aussi relevé les limites de la vision de l'Europe, cet “acteur politique bien faible et bien réservé”. “En 2003, a-t-il dit, la Méditerranée était au centre des préoccupations de l'UE. Avec l'UPM (Union pour la Méditerranée, (ndlr), les objectifs sont restés les mêmes, seules les modalités ont changé. L'UPM est une démarche intergouvernementale et non pas une démarche européenne.” Dans sa conclusion, M. Coustillière a recommandé “la prise en considération des intérêts du sud de la Méditerranée, dans l'intérêt de l'ensemble de la Méditerranée”. Celle-ci devrait passer par “la revitalisation du processus de Barcelone” et la définition de “nouvelles orientations à l'UPM”, ainsi que “le partage des 3 enjeux principaux”. Faut-il comprendre par-là que la stratégie européenne est à refaire ? H. Ameyar