Le palais de la culture a abrité, hier et avant-hier, deux représentations consécutives de la pièce El Machina, de la compagnie El Gosto, d'après l'œuvre Lagoual de Abdelkader Alloula. C'est aussi un clin d'œil à ce dernier – le lion d'Oran, à Tahar Djaout, et à toutes ces personnes qui ont été assassinées parce qu'elles défendaient un idéal. El Machina (le train), c'est l'histoire d'une fillette de 12 ans, Zenouba, atteinte d'une maladie congénitale au cœur. Malgré sa maladie, qu'elle sait incurable, Zenouba et forte. Elle ne se plaint jamais. Au contraire, elle est là, souriante, croquant la vie avec son insouciante innocence. Elle est envoyée par sa famille chez son oncle Djilali pour passer des vacances, selon ses parents, mais beaucoup plus pour se soigner. Une fois dans le train, Zenouba, curieuse, regarde ses voisins, essayant de lire dans leurs pensées, de deviner qui ils sont réellement. Le temps du trajet, les langues se délient, les cœurs s'ouvrent, laissant couler un flot d'amertume. Il est plus aisé de se confier à des inconnus. Ce sont plusieurs histoires dans une histoire commune. Il y a celle qui pensait que la liberté, la fin des maux passent par l'école. Elle croyait qu'en allant à l'école, sa vie changerait. Oui, sa vie a changé mais pas comme elle le voulait. C'est l'histoire de cette femme qui a été répudiée, car bravant l'interdiction de son mari. C'est aussi l'histoire de ce jeune appelé partagé entre la joie et la tristesse. La joie de retrouver les siens et la tristesse en pensant à l'après-fête et à ce qui l'attend dès son retour au contingent. El Machina c'est aussi l'histoire de ce berger, “l'artiste des moutons”, qui, du jour au lendemain, est contraint d'arrêter le métier hérité de ses ancêtres. El Machina, c'est l'histoire de ce jeune parvenu, qui, profitant de la situation que traverse le pays, s'enrichit grâce à un business des plus louches… El Machina c'est la rencontre de personnes venues d'horizons divers, mais qui partagent la même tragédie : celle que traverse l'Algérie durant la décennie rouge et noire. Rouge car le sang a coulé. Noire, parce que beaucoup de personnes ont tout abandonné pour sauver leur vie et se sont retrouvées sur la route… C'est aussi “l'histoire d'une histoire faite avant tout de plein de petites histoires, guidées par la voix des meddahine, maîtres et témoins du sens du récit”. À travers le personnage de Zenouba, troisième tableau des Dires de Abdelkader Alloula, c'est l'espoir qui est donné, car malgré sa grave maladie, la fille de Bouziane, le veilleur, ne baisse pas les bras. Au contraire, par son courage, elle nous montre que rien n'est perdu. Côté mise en scène, Ziani Chérif Ayad a voulu reprendre l'idée ou le principe du meddah de la place. Selon lui, “cette configuration n'est pas un caprice”, il a juste voulu faire un théâtre qui se différencie du théâtre européen. Alors que le public entre dans la salle, le musicien est déjà assis, grattant son luth. En fait, le public est invité à prendre place sur des gradins installés sur scène, pour recréer l'atmosphère des goual… Une scène nue, pas de décor… Un à un, les comédiens entrent et prennent place. Le rythme de la pièce va en moderato contabilé. Plus le temps avance, plus le mouvement s'accélère. Une fluidité dans le geste et dans le verbe. Les comédiens interprètent plusieurs personnages à la fois. À chaque fois, ils sont repris par le meddah, présent par la voix et la musique. Il “syncope le récit”, mais il lui insuffle une autre vie, une autre dimension, invitant le public à comprendre ou à essayer de comprendre avec lui, à travers les personnages qui défilent, la tragédie, celle de son pays, l'Algérie. AMINE IDJER