Au Forum d'El Watan, la politologue allemande, Isabelle Werenfels, raconte que, dans un entretien, un ancien responsable algérien lui a dit tout le mal qu'on peut dire du système national corrompu. Et sur la manière dont on devrait le combattre. Il en connaissait donc le mal et la solution. Mais “après quelques verres de vin”, dit-elle, il lui proposa de contacter, pour lui, des banques suisses, dans le but, évident pour elle, d'une opération de blanchiment d'argent. Relevant la contradiction entre le discours de son interlocuteur dénonçant la corruption et la demande qu'il venait de formuler, elle eut cette réponse de l'ex-autorité : “Dès lors que le système ne changeait pas, il fallait continuer à jouer le jeu.” Notre invitée a donc eu à éprouver, à son corps défendant, l'agression corruptrice de notre système ! Même nos hôtes étrangers sont parfois abordés dans une intention corruptrice. La carte de visite système en poche, la chercheuse pouvait, plus tard, au cours de sa conférence, expliquer qu'en plus de l'attachement des “élites nationales” au maintien du système, même les Etats, comme “les Etats-Unis et l'Europe ne se soucient plus de la démocratisation de l'Algérie. Ce qui les intéresse, c'est la stabilité du pays”. Un pays décidément plus propice aux affaires qu'à la promotion des valeurs. Un tel “incident” est édifiant de l'état d'esprit de prédateurs qui ne voient dans leurs hautes fonctions que l'opportunité de rapine. Ainsi, en guise de système politique, l'Algérie se paie un système de pouvoir essentiellement occupé à l'organisation du pillage de la rente. La part de rente affectée à chacun et à chaque coterie dépend de l'apport du bénéficiaire et de ses alliances à la pérennité du système. Ce fondement de l'immuabilité du système se confond avec la notion d'intérêt général. Le fait de le contester justifie votre inscription au ban des traîtres. L'existence de multiples points de “fuites” dans les circuits des finances publiques attire bien des flibustiers qui se déguisent en serviteurs de la nation et en commis de l'Etat pour pouvoir prélever leur part du gâteau, en fonction du rôle qu'ils jouent dans l'équilibre du système. En dehors des institutions aussi, des intérêts sont associés à cette finalité de maintien du système ; il y a dans la société des intérêts d'apparence privés ou corporatistes qui sont fondés sur leur solidarité au système politique. Le marchandage de cette solidarité est de notoriété publique : il se présente sous le double discours du soutien politique et de la revendication catégorielle. À l'occasion, cette permissivité sert à sanctionner les mutins politiques. La rente constitue le ciment des clans et le gage de fidélité de chacun. Dans le film Coup de Sirrocco, Mohamed Zinet, employé de la gare de Marseille, réplique à Marthe Villalonga qui lui suggère de “rentrer chez lui” : “Le travail ici, la famille là-bas.” Beaucoup de ceux qui prétendent servir ce pays le souffrent aussi en immigrés, voire en orpailleurs : le temps de ramasser les pépites à déposer en Suisse. Les systèmes politiques, c'est comme les économies : il y en a qui se donnent les moyens d'être “durables”. Ce que la conférencière résumait ainsi : “Même après Bouteflika, le système ne s'effondrera pas ; il y a d'autres structures qui le maintiendront.”