Les quatre cinéastes sacrés au Fespaco, à savoir Lyes Salem pour Mascarades (avec un Etalon de bronze), Khaled Benaïssa pour Sektou (avec un Poulain d'or), Samir Guesmi pour C'est Dimanche (avec un Poulain d'argent), et Amor Hakkar pour la Maison jaune (avec un prix spécial Signis), posent un regard croisé et lucide sur l'état du cinéma algérien ; tous s'accordent à dire que sa survie dépend de sa professionnalisation. Liberté : Un prix au mythique Fespaco est une lourde responsabilité. En même temps, ça peut réellement booster. Comment vivez-vous ce sacre ? - Amor Hakkar : En ce qui concerne le film la Maison jaune, nous avons obtenu un prix spécial (Signis) décerné la veille du palmarès. Un prix peut permettre à un film d'être distingué par ses pairs. Certes, c'est très encourageant et prometteur et pour autant, il ne garantit pas un succès systématique. - Lyes Salem : Avec une certaine émotion mais peut-être pas la même que celle que je peux ressentir d'habitude. C'est la première fois que j'allais en Afrique noire et je dois dire que j'ai pris conscience d'une réalité terrible qui relativise le prix qu'un festival (même le Fespaco) remet au film. Voilà je n'ai pas grand-chose à dire de plus si ce n'est que je suis touché que les membres du jury aient voulu distinguer mon travail. Mais ce que j'ai vu tout autour du Fespaco m'a un peu gâché la fête. Encore une fois et comme souvent en Afrique, la démesure des apparences méprise la cruauté de la réalité. On dépense une fortune pour un festival qui au bout du compte est mal organisé, et le tout au milieu d'une misère totale. Mais on entend dire par-ci par-là, que, heureusement que le Fespaco est là car les burkinabés font leur saison en vendant des petites choses aux touristes. Donc le Fespaco devient même la raison qui cautionne le fait qu'on laisse tous ces gens dans leur misère... Je suis désolé de dire ça, mais le Fespaco avait peut-être quelque chose de mythique, mais moi, ce que j'ai vu n'avait rien d'élogieux. - Samir Guesmi : Ce prix, je le prends comme un encouragement à continuer, sans complexe et sans lourde responsabilité comme vous dites mais avec un grand honneur et une grande joie de représenter l'Afrique et plus précisément l'Algérie. Il ne me reste plus qu'à reprendre mon stylo et continuer. - Khaled Benaïssa : Je vis ce sacre avec beaucoup d'énergie pour l'avenir, ça doit booster le court métrage en Algérie une fois pour toutes. Un réalisateur avec un projet de court métrage entre les mains à présent doit avoir beaucoup plus d'espoir et de chance à concrétiser son projet car il n'aura plus à répondre à la fameuse question que j'ai tant entendue dans les différentes institutions et différents bureaux administratifs : “Mais jeune homme pourquoi un court métrage ? Ça sert à quoi un court métrage ?” J'espère également qu'on n'entendra plus l'argument saugrenu des sponsors : “Désolé on ne peut vous soutenir car le court métrage ce n'est pas très médiatise.” Pensez-vous que les prix que reçoit l'Algérie ces derniers temps augurent réellement et effectivement d'une relance du cinéma algérien ? - Amor Hakkar :: Je suis très heureux de constater que les films algériens figurent dans les sélections officielles de nombreux festivals et raflent de nombreux prix. Je crois que le ministère de la Culture représenté par Mme la Ministre et tous ses collaborateurs ont contribué fortement à cette relance du cinéma algérien. N'oublions pour autant tous ceux et toutes celles qui ces dernières années ont continué à faire des films avec de beaux succès pour certains. - Lyes Salem: Ça c'est le temps qui le dira. Arrêtons avec ces grandes phrases évènementielles. La relance du cinéma algérien ne sera effective que lorsqu'un artiste algérien pourra financer et fabriquer son film en Algérie de A jusqu'à Z (ce qui n'est pas le cas de Mascarades, mais bien celui de Sektou) parce que cela voudra dire que son industrie sera remise sur pied. Ce qui malgré les prix n'est pas encore le cas. On s'aperçoit aujourd'hui qu'il y a visiblement une génération d'artistes (réalisateurs, comédiens et techniciens) qui sont capables de fournir un travail de qualité ; et c'est ce que révèlent les prix. Mais pour la relance du cinéma algérien, il faut un public et pour qu'il y ait un public il faut des salles, accueillantes et de qualité, où les sièges ne sont pas des repères de cafards, où l'image est digne d'une copie 35 mm et où le son est impeccable. Ensuite il faut un cadre législatif qui permette aux professionnels de travailler dans de bonnes conditions... Si on se suffit juste des prix, ce ne sera qu'un feu de paille. - Samir Guesmi : On ne peut que se réjouir de ces prix. Je pense aussi qu'il y a toujours eu du talent en Algérie que l'on doit révéler, aider et soutenir. Les auteurs sont là, créatifs et entreprenants, et qu'il ne reste plus qu'à les mettre en lumière et les encourager afin qu'il puisse exercer leur métier de cinéaste. Ce n'est qu'à cette condition je pense que l'on pourra parler d'une relance du cinéma algérien. ll Khaled Benaïssa : C'est clair ; les différents rendez-vous ponctuels qu'on a eus, notamment en 2000 ensuite en 2003 et dernièrement en 2007 et prochainement le festival panafricain ont formé et drainé beaucoup de gens dans différentes activités et expressions artistiques particulièrement dans le cinéma. Il est grand temps à présent d'installer une dynamique à long terme avec une structuration global du secteur du point de vue des salles des cartes professionnelles, de la formation... Il faut réfléchir, prévoir et prendre en charge les productions des prochaines années car l'impact est important et tout le monde attend beaucoup du cinéma algérien. Le cinéma algérien ne peut plus fonctionner à présent avec des rendez-vous culturels ponctuels tous les deux ou trois ans. Il faut avoir une structuration global et à long terme du cinéma en Algérie. Est-ce que le cinéma algérien marche actuellement à l'étranger (et surtout dans les festivals) parce qu'il pose un regard à la fois neuf et critique sur l'Algérie ? Amor Hakkar : Je crois que c'est la diversité du regard posé sur notre pays, la complémentarité des parcours humains, professionnels de chacun et chacune d'entre nous, qui font la richesse de notre cinéma en Algérie et naturellement à l'étranger. - Lyes Salem : Très sincèrement, je ne sais pas. En plus, en ce moment, je vois tout en noir. Je ne suis pas sûr de pouvoir répondre à cette question. Je pense que les festivals (et c'est leur fonction) reconnaissent que quelque chose frémit au Maghreb. Mais ils ne s'inclineront que lorsqu'ils n'auront plus besoin d'inventer des programmes particuliers pour venir en aide aux artistes maghrébins (et ça il faut, je crois les en remercier). Il y a, en effet, cette année quelques films longs et courts qui interprètent l'Algérie de manière personnels par leurs auteurs. J'espère que ça va continuer, qu'il va y en avoir de plus en plus. - Samir Guesmi : L'Algérie est foisonnante et varié et ne se limite pas qu'à sa frontière géographique, c'est ce qui en fait la richesse et la diversité de ses regards, de ses auteurs et de son cinéma. - Khaled Benaïssa : Le cinéma algérien est à venir, parlons pour l'instant avec modestie et d'espoir pour l'avenir, de films algériens. Il est vrai que dans les festivals internationaux en ce moment, on accorde beaucoup d'attention au film algérien qui renaît de ses cendres, et tout le monde assiste avec curiosité à ce phénomène. Dans l'histoire du cinéma mondial, on a déjà vu ce genre de situation... mais c'est à nous de ne pas être naïf et faire des films qui seront vus et accueillis dans les festivals internationaux en tant qu'ouverture cinématographique avant tout.