Apparemment, le problème serait simple : il n'y a de corrompu que s'il y a corrupteur. À tous les niveaux et partout dans l'espace et le temps. En Algérie, cependant, c'est moins simple parce qu'on risque des déconvenues si l'on s'arrête à ce schéma, en se limitant à des cas concrets de petite corruption multipliés en millions ou milliards de dinars, mais qui cachent la grande forêt. En résumé. Au bout de la chaîne, des chaînes, il y a la corruption sous différentes formes. Elle n'existe, cependant, pas en soi, sauf cas très rares, parce qu'elle est inséparable du mode de gouvernance à laquelle elle est liée de manière étroite, consubstantielle. Et c'est ce qui fait sa spécificité toute algérienne. C'est ce qui ressort de cette table ronde autour de la corruption, organisée jeudi par la publication scientifique, Naqd, une revue d'études et de critique sociale, qui a consacré son dernier numéro à la prédation et la corruption, et qui fête justement son 15e anniversaire. Dans une salle exiguë du Centre de recherche en économie appliquée au développement (Cread), la table ronde a fait salle comble et avec des débats à l'attention soutenue, tant en raison de l'acuité de la question que par la qualité des interventions. La table ronde n'a pas fait le tour de toute la question en raison de la complexité des problèmes qui lui sont liés et s'est limitée à une démarche scientifique, sans complaisance certes, mais méfiante vis-à-vis d'affirmations gratuites par souci d'éviter des conclusions hâtives, en privilégiant l'étude patiente de cas concrets ou d'exemples dans d'autres parties du monde, ou dans certains aspects institutionnels, en particulier juridiques et législatifs. Et c'est ce qui a fait sursauter plus d'un. La corruption fait partie du système de partage et de répartition de la rente. On en vient justement à propos du début de ce processus, parce qu'il faut interroger l'histoire, pour pouvoir en situer l'origine, ou au mois les prémices. D'une manière ou d'une autre, c'est le pouvoir, la gouvernance qui est au centre de la question, quelle que soit la forme d'exercice du pouvoir. C'est le lieu de cette relation entre la prédation et la corruption. Une gouvernance qui tire sa légitimité des méthodes du coup d'Etat comme mode d'accès au pouvoir, en dépit des légalités électorales formelles, une méthode qui n'a pas changé dans l'Algérie indépendante, aussi loin que peuvent remonter les mémoires, les témoignages ou… les archives disparues pour ce qui est des plus significatives ou des plus compromettantes d'entre elles. De surcroît, un pouvoir éminemment faible, à la légitimité contestée et donc prêt à toutes concessions devant toutes contestations populaires, civiles, associatives, catégorielles, associatives ou autres pour assurer sa pérennité ou sa longévité. Prêt à partager la rente mais pas le pouvoir. Une forte disponibilité à partager cette rente avec les multiples réseaux, clans et familles qui constituent sa base sociale, développant du même coup l'appareil de ses ramifications sociales, en se posant de plus en plus comme arbitre incontournable, mais diminuant de plus en plus ses possibilités en tant que puissance publique, en tant que pouvoir d'Etat. Tout en gardant la possibilité de se débarrasser des éléments qui ont perdu de leur puissance ou capacité de nuisance, les plus encombrants, ou les plus affaiblis ou les plus compromettants. Un pouvoir d'Etat fort dans ses seuls aspects répressifs, un territoire immense, des ressources autant illimitées, et une main basse sur la ville, sur la société, l'économie. Un arsenal d'interdits très sommaire, suffisamment dissuasif pour les plus faibles ou les moins significatifs, mais bien permissif pour les réseaux d'alliances liés au pouvoir ou ceux agissants à ses orbites. Les barons des containers importés tirent leur puissance de ce que l'on appelle laxisme des autorités : il est compréhensible que ces barons soient si puissants du moment qu'il y a absence presque totale d'une puissance publique qui réduise leur pouvoir exorbitant. Sinon, comment peut-on expliquer les entraves aux activités de production, aux investissements privés ou même publics de production, y compris par voie fiscale, législative, réglementaire ou douanière favorisant l'activité d'importation ? À titre d'exemple, la filière médicament ou agricole et agroalimentaire. En bref, un système de partage de la rente, qui élargit ses ressources et ses possibilités d'action en investissant l'immobilier, le foncier, le commercial, la privatisation et permettant une inefficacité généralisée des services, grande pourvoyeuse de pots de vins également.