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Une wilaya malade de sa bureaucratie !
Mostaganem
Publié dans Liberté le 22 - 12 - 2008

Dans la plupart des services, les fameux registres de doléances ne sont plus mis à la disposition de l'administré.
Et ils sont de plus en plus nombreux, ces citoyens à se demander jusqu'à quand perdurera cette léthargie paralysante !
Un état chronique concrétisé par des cartes grises de véhicules et d'autres engins délivrées dans des délais qui dépassent l'entendement, des locaux commerciaux du programme présidentiel réalisés il y a plus de 2 ans et dont on retarde l'attribution pour on ne sait quelle échéance, des dizaines de logements, parfois retapés à 2 ou 3 reprises, qui attendent désespérément attribution, alors que des milliers de demandes exprimées par des familles dans le besoin réel et absolu moisissent dans les tiroirs, par de simples extraits de rôle qu'on ne délivre qu'au bout d'une semaine, ou de multiples allers-retours pour se voir délivrer un négatif, pièce maîtresse dans la constitution d'un dossier d'accession à un logement ! Dans la plupart des services, les fameux registres de doléances ne sont plus mis à la disposition de l'administré. Le vieux personnel consciencieux, qui faisait des PTT ou des caisses d'assurances des services modèles, a été mis à la retraite, et la relève n'est guère à la hauteur des évènements. Presque partout, l'incompétence ou le manque de formation, le débordement par le volume de travail demandé ou le “je-m'enfichisme”, le manque de personnel ou l'exiguïté des locaux, la défection de celui qui signe ou l'humeur du préposé à la réception enveniment la relation administration-administré. À moins que l'on y connaisse quelqu'un, le moindre dossier à formuler — et ô combien sont-ils nombreux ces dossiers demandés— vous prend des dizaines de jours et maintes demi-journées d'absence de votre travail, si vous êtes salarié. “Mais combien vous faut-il connaître de quelqu'un, tellement la situation est partout pareille !” nous réplique un vieil homme renvoyé bredouille après expiration du délai habituel des 15 jours auquel il fut initialement invité à patienter. Pour lui qui vient du fin fond de la wilaya, le renvoyer parce que le caissier est absent ce jour-là, ou parce que son document est établi mais il n'est pas encore signé, est une véritable tracasserie bureaucratique.
À l'hôpital, dans une agence de voyages, au service de l'état civil ou dans un cabinet médical privé, dans une administration ou un service public quelconque, à la banque ou tout simplement dans une boulangerie, notre premier réflexe est de rechercher des yeux si, par hasard, il n'y a pas une tête qu'on connaisse et qui puisse nous servir avant les autres.
Ce réflexe désormais acquis fait partie de notre culture et est, souvent, à l'origine du phénomène de la corruption. La corruption, c'est ce fléau qui, simultanément, fait de l'administré et le coupable et la victime. Un fléau dont tout le monde parle et s'en plaint, mais s'arrête net dès lors qu'il s'agit d'en fournir les preuves matérielles et concrètes. Un défaut de preuves qui en fait un tabou, drapant d'un voile épais et parfait les véreux et les encourage à poursuivre leur sale besogne. Civil ou militaire, cadre responsable ou citoyen commun, homme ou femme, de l'adolescent au vieillard, la plus optimiste des personnes interrogées ne voit dans la loi relative à la lutte contre la corruption qu'un texte supplémentaire dont les Assemblées “légiférantes” sont bien prolifiques.
Une gangrène nommée corruption
Au plus fort de son efficacité, la loi ne pourrait que limiter les dégâts, déclarent les plus optimistes. Là où s'exhale l'odeur de la corruption, le journaliste est déclaré persona non grata. Il faut être vraiment dupe ou naïf pour ne pas soupçonner partout la corruption. Comment peut-on plaider l'innocence d'un président d'APC qui de toute sa vie d'instituteur retraité n'a pas pu amasser des économies pour s'acheter une bicyclette et qui se retrouve, au bout de deux années de mandat d'élu, avec une voiture dernier cri ?
Comble du miracle inexpliqué, il se permet même de fréquenter les lieux les plus huppés des loisirs et de la villégiature sur la corniche et la côte ! Personne ni aucun service ne s'intéresse à la métamorphose subite et miraculeuse du train de vie des uns et des autres. L'opinion publique s'en est forgé sa propre idée sur l'ampleur du fléau et ses protagonistes. Seulement, quiconque tente d'agir est aussitôt “ligoté” par l'absence de preuves. Précédant la loi, et en réaction aux “on-dit” et aux multiples irrégularités, pour ne pas dire malversations et détournements, de crainte de verser dans la diffamation, décriées çà et là à travers la wilaya, Mme le wali avait adressé, au lendemain de sa nomination à Mostaganem, une lettre circulaire aux chefs de daïra et aux présidents d'APC, dans laquelle elle leur rappelait et recommandait le strict respect des clauses édictées par le code des marchés dans le cadre de l'adjudication des marchés des projets. Dans le souci d'une meilleure transparence, et au-delà d'un seuil minimal, tous les marchés contractés par les APC devaient passer devant le comité des marchés de la wilaya. Un passage qui s'avérera tout juste formel visant à intimider les mauvais desseins ! Depuis que l'Algérie vit ses années de vaches grasses, le nombre d'entrepreneurs, de fournisseurs et autres prestataires de services pour l'Etat a démesurément foisonné.
La concurrence est acerbe et déloyale pour se partager l'argent du généreux Etat. “Menteur serait l'entrepreneur qui prétendrait avoir décroché le moindre marché s'il n'a pas graissé, quelque part, la patte à quelqu'un” soutient-on dans le milieu de cette frange socioprofessionnelle dont personne n'ose vous indiquer le moindre nom de l'agent corrompu. Dans ce milieu, la réserve est de rigueur. La dénonciation équivaut au suicide professionnel ! Si l'on ne se plie pas de son propre gré, on est assujetti contre sa volonté. À commencer parfois par la loi elle-même, les moyens de convaincre les plus honnêtement tenaces ne manquent point.
Il y a toujours mille moyens et subterfuges de contourner cette loi. Sous prétexte du manque d'effectifs, on justifie la lenteur bureaucratique dans le traitement de votre dossier. On multiplie le nombre de documents et de pièces à fournir. On vous invoque l'absence du directeur parti en mission ou en éternelle séance de travail. On vous distille l'information, sinon en vous prive carrément de votre droit quant à l'accès à telle ou telle projet. On vous enferme dans une sinistre et lugubre salle d'attente pour que vous ne vous rendiez pas compte qu'il y a des chanceux qui n'ont pas le temps d'attendre. Parfois, intempestivement, on vous fait part de la “misérable condition de vie” de salarié ou de la cherté insupportable de la vie. La finalité inavouée du subterfuge est de vous faire comprendre que l'initiative de régler au plus vite vos affaires relève de votre ressort ! De grands, voire mégaprojets d'investissement et des enveloppes financières particulièrement consistantes sont confiés à l'appréciation, à l'approbation ou au bon vouloir d'un simple agent administratif qui arrive difficilement à “joindre les deux bouts”.
À moins que ce soit un ange, il serait inconcevable de s'attendre à ce que celui qui travaille dans le miel puisse s'abstenir de se sucer les doigts. Le meilleur qu'on oserait espérer de lui serait à peine qu'il préserve le pot ! Des associations occultes et tacites d'entrepreneurs et de fonctionnaires ou d'élus véreux sont désormais légion.
Dans nombre de cas, la corruption est l'initiative du corrupteur. Dieu sait combien sont-ils ces illettrés, mais pas seulement ni toujours eux, à mettre et sans qu'on leur demande quoi que ce soit, la main à la poche pour un banal service auquel ils ont pourtant pleinement droit. Dans les agglomérations rurales en particulier vit une bizarre catégorie d'énergumènes qui éprouvent un malin plaisir à sympathiser avec un simple policier, un garde communal ou un gendarme auxiliaire. Surtout quand les gens du bourg sont là pour apprécier la “fraternité” et la “sympathie” hypocrites !
Ceux qui ont l'accès, notables ou prétendus l'être, visent plus hauts gradés et dépensent nettement plus qu'un café ou une caisse de pomme de terre ! Rares sont les responsables nouvellement mutés dans la région qui osent décliner l'invitation à un grandiose et copieux festin offert par un hôte qu'on n'a jamais connu auparavant ! Une invitation qui se veut un investissement pour se vanter devant voisins, cousins et autorités locales que le responsable du coin est déjà acquis !Bien mal acquis ne profite jamais, dit-on.
Aux gens honnêtes et intègres, devrait-on préciser davantage. Car, de nos jours, il profite pleinement à ceux qui savent s'y prendre. Ceux qui “savent manger tout en faisant manger autrui”. Les liens, les affinités, les relations intimes et les connivences se tissent, mais surtout… s'entretiennent !
Forcément ! Quand la gangrène généralisée constitue un élément indéniable de la culture, que peut apporter une loi, qui, faut-il le rappeler, ne vaut que ce que valent les hommes qui l'appliquent ? Tout comme celle relative aux dispositions du code de la route qui n'a point freiné les accidents de la route.
M. O. T.


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