Aujourd'hui est Journée mondiale de la liberté de la presse. Le culte de la commémoration aidant, la profession célébrera unanimement l'anniversaire de la Déclaration de Windhoek. Des lamentations ne manqueront pas de remplir les colonnes de la presse écrite privée. Mais, histoire de déclarer son approbation du discours officiel accablant les journalistes de toutes les imperfections et de toutes les trahisons, une grande partie de la presse “libre” se désolera de son déficit de professionnalisme et de déontologie. Une autre partie bottera en touche en se dissimulant derrière le message “historique”, un de plus, de Bouteflika sur — ou plutôt, et si l'on s'en tient à la lettre, “pour” — la liberté de la presse. Elle fera mine de ne pas voir que la déclaration présidentielle contredit dix années de pratique, dix années de répression de toutes les libertés. L'épreuve ayant précédé la profession de foi : la monopolisation anachronique de l'audiovisuel par le pouvoir, le harcèlement judiciaire cyclique, les interventions institutionnelles dans les rédactions, les pressions fiscales périodiques, pour ce qui concerne les journalistes et les éditeurs ; le verrouillage des mass media et l'interdiction des espaces publics pour les partis politiques ; l'instrumentalisation politique des associations pour asservir la société civile par le chantage au budget… Toutes ces pratiques, et d'autres, témoignent d'une conception monolithique du discours et de la pensée et d'un refus autiste de toute contestation de la gestion du pouvoir et de toute proposition qui lui est externe. La presse, même si elle connut la sentence de “terroristes de la plume”, n'a pas constitué une cible particulière de la stratégie de caporalisation de tous les secteurs socialement actifs. Victime de la répression multiforme, certes réelle, elle l'est aussi de sa conversion opportuniste massive à la norme rentière qui, progressivement, a envahi l'ensemble de la vie politique et sociale. Au lieu de résister à la tentation clientéliste, elle s'est, par pans successifs, laissé convaincre des avantages d'un mercantilisme “lié” au regard des tracas d'un professionnalisme indépendant. Et c'est dans les rangs des éditeurs et des journalistes que se recrutent les pourfendeurs de “plumitifs” qui osent encore s'en prendre aux “intérêts du pays”, manière de dénoncer les crimes journalistiques de lèse-autorité, et que se cultive l'omerta sur les éventuels abus des grands annonceurs. L'expérience a même encouragé le pouvoir à organiser la riposte, à l'intérieur de l'espace médiatique “libre”, en favorisant la prolifération de titres “indépendants” acquis à la thèse autoritariste. La liberté de la presse n'est pas une cause désincarnée que d'héroïques chevaliers de la plume porteraient à leur corps défendant. C'est l'expression d'un élan libertaire d'un peuple. Depuis une décennie, les conditions d'un vaste mouvement de renoncement ont été mises en place et leur effet n'en finit pas d'imprimer au pays une logique de régression politique et intellectuelle. La tendance régressive ne s'arrêtera qu'avec le renversement du processus d'uniformisation rentière. Ce qui semble loin d'être à l'ordre du jour. Et donc, la liberté de la presse non plus.