Il existe actuellement plusieurs problèmes majeurs relatifs à l'absence de certaines valeurs dans notre société. Il est à savoir que l'un des éléments fondamentaux d'une société est l'élaboration d'une éthique, d'un code psychobiologie des valeurs qui servent de référence à l'action humaine. Il est donc sans doute très probable qu'une partie plus ou moins importante des actions et des situations sociales actuelles, n'est pas conforme aux valeurs culturelles en vigueur et est à l'origine de nombreux problèmes de gravité variable. C'est ce qui ressort de l'entretien que M. Khaled Karim, sociologue au CREAD a accordé à Liberté : Liberté : Un des éléments fondamentaux d'une société est l'élaboration d'une éthique, d'un code moral et, surtout, d'un système de valeurs qui servent de référence à l'action humaine. Pensez-vous qu'il est temps aujourd'hui de revenir dans le système éducatif à l'éducation civique ? KHALED Karim : Il est important, même fondamental, de signaler que la société algérienne est profondément anomique ; c'est-à-dire une société qui a perdu ses valeurs de vivre en commun dans le respect de soi et de l'autre. Ce dysfonctionnement dans le système de valeurs sociales est un long processus qui remonte aux années 70, ou les sciences sociales (psychologie, sociologie, histoire et droit, science politique), qui sont censées être des sciences de conscience individuelle et collective, étaient politiquement domestiquées, pour perdre leur propre vocation, du coup, l'accumulation des problèmes sociaux restent superficiellement résolue. Aujourd'hui, on est face à une société livrée à elle-même. La problématique de l'éthique est une problématique fondamentalement politique, c'est-à-dire du type de projet de société qu'on veut réellement, qui passe inéluctablement par un système éducatif performant en constante régulation avec les contextes et l'évolution de la société algérienne et les enjeux qui la guettent. L'éducation civique est la base de toute construction des Etats Nations. Elle est une source d'un éthos qui permet à la communauté de vivre en partage et à l'implication active dans l'espace public. Elle est source de la citoyenneté qui protège l'existence d'un Etat. Il existe actuellement plusieurs problèmes majeurs relatifs à l'absence de certaines valeurs dans notre société. À votre avis, c'est dû à quoi ? On ne peut parler d'absence de valeurs, mais plutôt de régression de valeurs, puisque la société algérienne est connue par ses valeurs humaines et d'hospitalité. Effectivement on constate qu'actuellement, beaucoup de maux sociaux traversent la société algérienne, comme la prostitution, la toxicomanie, l'incivilité, les divorces anomiques, les suicides, le vol d'enfants, les accidents de la route…ce sont des indicateurs qui nous renvoient une image type de ce dérèglement social, qui est un processus de longue date. Donc, un problème de valeurs sociales, notamment le respect de la vie avec toutes ses formes. L'étatisme, avec sa version bureaucratique, a confisqué la société et a étouffé les énergies, au point où les gens ne croient à rien et deviennent même suicidaires dans leurs comportements, c'est là, le danger pour la société, puisque les individus vont faire semblant de vivre, c'est-à-dire une forme d'hypocrisie sociale et de survie comme remède. Placer l'individu au centre de toute éducation est incontestablement un chemin vers l'auto-construction intelligente, du coup, une formation civique qui rend la vie possible dans la sécurité. Ne pensez- vous pas que choisir un code moral serait une nécessité incontournable dans une société évoluée ? Il est erroné de tomber dans des analyses colonialistes, qui prétendent qu'il existe des sociétés évoluées et d'autres non ! Ce sont des littératures révolues avec la révolution anthropologique, qui a mis en cause la définition elle-même de la notion de civilisation. Mais le problème qui se pose pour l'Algérie, je risque de me répéter, c'est que la crise que vit la société algérienne d'aujourd'hui est synonyme de la crise et la marginalisation des sciences sociales. Jacques Berque disait “qu'il n'y a pas de société sous-développée mais des sociétés sous analysées”. Donc pour revenir à votre question, il n'y a pas de sociétés sans code moral, il peut être coutumier (traditions, code d'honneur, l'interdit…) ou positif (lois de l'Etat). Le paradoxe en Algérie, réside dans la perte de l'autorité symbolique des structures sociales traditionnelles comme “tadjmaât” et les mosquées et au même temps la perte de confiance au système judiciaire. C'est vraiment un échec de passage à la “modernité”, qui, à son tour, est dû à un échec de l'Histoire non élaborée. Le système référentiel est en panne, les Algériens vulnérables se trouvent otages de toutes les influences véhiculées par la parabole et les technologies de la communication et de la technologie (TIC), notamment l'Internet. Donc ce n'est pas une affaire de choisir un code, mais trouver des mécanismes pour son application au commun des mortels. L'éducation civique est au cœur de la problématique de l'Etat de droit. C'est un apprentissage qui vient avec le temps et on ne change pas la société avec des lois, mais avec un système éducatif performant avec l'implication de la société civile. La perversion d'ordre politique économique et culturelle que connaît actuellement la société algérienne est due fondamentalement à une Histoire lointaine de l'identité nationale, qui est restée non élaborée, figée dans un unanimisme, loin de toute forme de diversité. Ce handicap culturel a traversé et traverse toujours, toute la société algérienne, pour la structurer dans la violence, la déviance, les préjugés, les stigmates, l'incivilité et le dénigrement de soi. Et quelle éthique, quelle morale et quelles valeurs choisir, et à partir de quels critères jugés fondamentaux pour notre société? Avant de parler de la projection, il faut avant tout évaluer sereinement la situation, loin de toute forme de pressions conjoncturelles, pour mieux comprendre l'état actuel des choses. À mon sens, le travail d'élaboration de notre Histoire est fondamental pour échapper au piége de l'Histoire cyclique. Il n'y a pas d'éthique “prêt-à-porter”, la société est un corps vivant qui a ses lois d'existence. Elaborons les, et puis, pensons en même temps a les rendre intelligibles. Le commun des sociétés humaines, c'est le rejet de l'impunité et de l'injustice. Dans cet ordre d'idées, la société algérienne ne peut être différente des autres sociétés humaines. Le critère fondamental qui rend possible la vie, c'est le respect de la vie elle-même, en inculquant via l'école, les masse media et le droit, des valeurs de respect de l'autre dans sa singularité et non dans sa différence. Le respect de la singularité, comme apprentissage est une antidote de toute forme de régression sociale. F. A.