C'est au moment où la tendance d'Abou Djerra organise un hommage grandiose à la mémoire de Mahfoud Nahnah, à l'occasion du sixième anniversaire de la mort du cheikh, pour se revendiquer aussi de son héritage, qu'un livre sur la crise qui secoue le MSP sort en librairie. L'Héritage empoisonné se veut de la part de son auteur, Mohamed Baghdad, qui semble bien connaître “la maison”, une plongée dans la profondeur du psychodrame que vit le MSP, en proie à un profond schisme dont les protagonistes sont Abou Djerra Soltani, Abdelmadjid Menasra et leurs ouailles respectives. Comme pour suggérer quelque déterminisme historique, l'auteur du livre, dans sa préface, fait un détour par l'histoire, pour pointer une constante dans la société islamique où les successions avaient de tout temps résonné avec violence et déchirement. Retour au présent de l'auteur pour voir dans ce que vit actuellement la mouvance islamiste un avatar de cette crise de succession et de légitimité. “Sur la scène algérienne, la direction du FIS a fait à elle-même et au peuple ce qu'un ennemi n'aurait pas fait à son ennemi, et ce qu'ont fait à Djaballah ses adversaires et à eux-mêmes est d'une horreur sans exemple dans l'histoire”, écrit Mohamed Baghdad en déplorant que “voilà les héritiers de Nahnah, depuis qu'Abou Djerra est monté sur le fauteuil se livrer à une bataille féroce”. Dans la première partie de l'ouvrage intitulé “projet”, Mohamed Baghdad tente de “typologiser” le projet politique en établissant une relation dialectique entre l'homme et ce projet. Derrière la bonhomie de Mahfoud Nahnah, sa rondeur et son sourire se cache en fait un homme complexe. Les contradictions, qui caractérisent le personnage, ont profondément bouleversé son projet politique qui se veut une synthèse entre un islam bon teint et le souci de s'inscrire cependant dans la contemporanéité. C'est le pragmatisme, version Mahfoud Nahnah, estime Mohamed Baghdad qui restitue dans cette partie du livre à la fois le parcours politique de Nahnah au sein de la mouvance islamiste nationale et internationale, mais surtout son poids dans l'équation politique algérienne. Le fait qu'il soit envoyé par l'Etat à l'étranger pour se soigner d'une leucémie, qu'après son retour de France, des personnalités de premier rang, à leur tête le président Bouteflika, se sont succédé à son domicile à Club-des-Pins, que ses funérailles aient eu un caractère quasi officiel témoigne de l'importance de Mahfoud Nahnah en tant qu'acteur politique majeur. “Les derniers moments de la vie de Mahfoud Nahnah montrent que ceux qui se succédaient à lui rendre visite à Paris ou chez lui, en particulier les personnalités issues des cercles de décision politique, savent qu'ils sont en train de dire adieu à un homme très important pour eux.” Dans la seconde partie du livre intitulé “Le temps de la dérive”, l'auteur décline en fait une chronologie de la bataille de succession entre Abou Djerra Soltani et Abdelmadjid Menasra qui a démarré au lendemain de l'enterrement du parrain. À chaque clan ses fins, le contrôle du parti et ses moyens qui ne s'accommodent point d'éthique. Dans cette bataille de succession, l'auteur du livre concède qu'Abou Djerra avait des longueurs d'avance sur son adversaire, notamment une plus large médiatisation. “Chaque partie accuse l'autre à travers la presse, oubliant qu'elles sont toutes les deux des victimes”, note Mohamed Baghdad qui reproche aussi à Soltani, dans sa conquête du parti au nom d'une certaine rupture, de privilégier “l'allégeance en fonction des intérêts, l'achat des consciences”. Menasra en prend pour son grade de la part de l'auteur qui lui reproche son manque de charisme et sa tendance à se légitimer à travers la famille de Nahnah. Un des moments forts du livre nous renvoie au dernier congrès en 2008. Noms d'oiseaux, invectives, accusations, procès en trahison ont été au menu de cette messe organique qui a consacré définitivement le leadership de Soltani sur le parti. Et, subséquemment, la perspective pour les perdants de créer leur propre formation pour “sauver l'héritage de Nahnah, menacé de dilapidation par Abou Djerra et les siens”. Ce qui a donné “Daâwa wa taghyir”, une autre formation qui contribue, selon l'auteur du livre, à l'émiettement du courant islamiste et à la perte de son influence dans la société algérienne.