“Le groupe Khalifa est un empire qui va exploser en plein vol.” Lorsque cette phrase prémonitoire fut prononcée par une personnalité très connue sur la place d'Alger au cours d'un dîner, l'été dernier, ses interlocuteurs sont restés sans voix. Comment ce groupe éponyme, dont le patron s'affiche d'une manière ostentatoire avec des stars mondiales du show-biz, qui se permet le luxe d'avoir son logo sur les maillots de l'Olympique de Marseille et qui a été reçu avec faste lors d'une réception du président de la République, pouvait-il être menacé ? Peu d'Algériens savaient, à ce moment-là, qu'en vérité le groupe Khalifa était un géant aux pieds d'argile et sa chute programmée. Retour sur un “crash” aussi rapide que l'ascension fulgurante d'un groupe éphémère. Les déboires du groupe Khalifa ont commencé en novembre 2002, lorsque la Banque d'Algérie avait décidé de suspendre les mouvements de fonds de la banque Khalifa à l'étranger ou vers l'étranger. Cette décision, dont l'opinion publique n'avait pris connaissance que bien plus tard, aurait été prise par le président Bouteflika, lors d'une réunion du Conseil des ministres. Les véritables dessous de ce qui allait être par la suite l'affaire Khalifa sont révélés au grand jour, au mois de février 2003. Trois personnes sont arrêtées tard dans la nuit à l'aéroport d'Alger, en possession d'une valise contenant plus de deux millions d'euros. Cette opération menée par des éléments des services de sécurité, vraisemblablement informés des agissements de ces personnages, aurait pu être classée dans la catégorie des faits divers, si ce n'était l'identité des mis en cause. Il s'agissait de trois proches collaborateurs de Abdelmoumène Rafik Khalifa. Ils s'apprêtaient à embarquer à bord du jet privé du patron du groupe, en attente sur le tarmac de l'aéroport. Les suspects, qui seront identifiés par la suite comme étant de hauts responsables au sein du groupe, étaient sur le point de faire sortir cet argent frauduleusement du pays. Cet argent avait été échangé au marché parallèle quelques jours auparavant, chez les trafiquants de devises du square Port-Saïd. C'est le début de la descente aux enfers. L'opinion publique qui croyait au départ à une simple “fugue” des hommes de “Moumène”, comme l'appellent affectueusement ses proches, découvrira très vite le pot aux roses. L'opération de l'aéroport n'était qu'une étape dans le processus du démantèlement du groupe. Une décision qui aurait été prise par des cercles proches d'El-Mouradia, après l'échec de leur OPA sur Khalifa TV, que le groupe s'apprêtait à lancer. Ces cercles ne voulaient pas apparemment prendre le risque de laisser se développer un média lourd qui échappait à leur emprise, surtout que l'élection présidentielle de 2004 pointait déjà à l'horizon. Les Algériens découvrent stupéfaits que le symbole de la réussite de la nouvelle génération des investisseurs, le golden boy algérien, avait bâti sa fortune sur une grande supercherie. Très vite, les langues se délient et les décisions à l'encontre du groupe Khalifa tombent en cascade. Début mars, la banque Khalifa, épine dorsale du groupe, est placée sous tutelle d'un administrateur nommé par la Banque d'Algérie. Cette dernière reprochait à la banque Khalifa d'avoir effectué des opérations irrégulières. Cette décision a touché de plein fouet la compagnie aérienne du groupe, Khalifa Airways, qui ne tardera pas à rendre ses avions, des Airbus et des Boeing, entraînant la suppression de toutes les dessertes vers l'étranger de cette compagnie. Fin mai, la Banque d'Algérie assène le coup de grâce au groupe, en nommant à sa tête un liquidateur. Quelques jours plus tard, le Chef du gouvernement affirme à l'Assemblée nationale que Khalifa a coûté à l'Algérie plus de 100 milliards de DA, que son sauvetage est impossible et que la justice va se pencher sur l'affaire. M. Ahmed Ouyahia était le premier haut responsable de l'Etat à s'exprimer ainsi sur Khalifa. La messe était dite. R. B.