À quelque 2 300 km au sud de la capitale, Alger, et au-delà des dunes du grand-erg occidental et du plateau de Tanezrouft, des enfants vivent avec les moyens que leur offre le hasard. Pas facile de résister à la tentation du jeu lorsqu'on est enfant, mais pour trouver avec quoi jouer, il faut des moyens que les parents n'ont pas, et même si ces derniers existent, l'investissement dans un jouet prend l'allure d'une absurdité. C'est ainsi qu'à Bordj-Badji-Mokhtar, les enfants vivent avec les moyens du bord, puisqu'il n'y a pas d'aires de jeu, pas de vacances et pas de moyens pour se rendre dans une colonie de vacances et découvrir d'autres endroits et régions du pays. Faites une virée dans la ville et vous apercevrez forcément une grappe d'enfants sur une balançoire, faite à l'aide de pylônes électriques, un par terre et un autre superposé ; voilà la balançoire prête à recevoir les bambins qui tangueront au gré de tous les dangers possibles ! Non loin de là, un autre groupe essaye inlassablement de “rouler des billes” sur le sable qui recouvre toutes les devantures des maisons. Le ballon qui circule entre les petits pieds, d'un groupe à l'autre, n'est qu'en caoutchouc et avec les voitures qui roulent à vive allure même au centre-ville, se hasarder à poursuivre la balle est risqué, voire mortel. Juste à la sortie nord de la petite ville de BBM, un jeune homme a acquis pour une bouchée de pain une table de billard et un baby-foot que les jeunes adolescents cernent avec ferveur et envie de jouer. En plein air et sous un soleil de plomb, les jeunes font la queue pour une partie de plaisir. Les autres enfants, pour ne pas dire la majeure partie, sillonnent les rues de la ville ou s'assoient aux abords des tables des vendeurs de cigarettes et entament ainsi, dès leur jeune âge, une activité des plus controversées. Pour les filles, c'est clair, elles sont là à regarder les garçons jouer tout en gardant leur petit frère ou sœur. La seule chose à laquelle elles ont droit, c'est de ne pas perdre de vue celui ou celle qu'elles ont la responsabilité de protéger. Et pour les vacances ? Ils n'en connaissent que le nom, et pour la majorité de ces gosses, les vacances veulent dire simplement “ne pas aller à l'école”. Comme nous le dit si bien un garçon : “pour moi les vacances, c'est de ne plus être assis devant un maître et ne plus être obligé de monter sur l'estrade.” Certes pour beaucoup d'enfants, la fin des classes veut dire entamer la période d'évasion mais pour ceux du désert, sortir en vacances n'est que le début du cycle de l'ennui et de l'oisiveté. Comme c'est dur pour ces derniers de voir les gosses d'autres régions du pays avoir droit à la mer, à la rivière, à la piscine, aux parcs d'attractions et autres loisirs, alors qu'eux sont contraints de rester là où le vide règne en maître des lieux. Depuis la création de cette petite ville de BBM, aucun enfant n'a eu droit à une sortie en excursion ou à partir en colonie de vacances afin de lui permettre de découvrir la beauté de son pays et surtout la mer qu'ils ne voient malheureusement que sur l'écran de la télévision. N'est-il pas temps de jeter un petit coup d'œil en direction de ces enfants du désert qui traversent leur enfance comme des adultes sans aucune distraction ? Hélas, ces enfants du désert n'ont ni moyens de jouer ni possibilités d'évasion. Au moment où les autres enfants du pays se baignent à la plage, eux barbottent dans le sable en jouant avec tout ce qui se présente : détritus, sachets en plastique, bouteilles en verre et tout ce qui se nomme danger. Avec leur soif du jeu, ils se roulent sur le sable en effaçant les traces que laissent leurs pas avec leurs petites mains, ainsi ils laissent aux grains de sable les images de leur enfance, qui se réuniront forcément un jour dans un coin pour former une dune de souvenirs d'enfants qui n'ont pas eu le droit de vivre leur enfance comme il se doit. L. Aït Timouche