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Développement local
Touristes au compte-gouttes, palmeraie à l'agonie et sebkha polluée
Publié dans El Watan le 09 - 04 - 2007

C'était le vaisseau amiral de la relance du tourisme au début des années 2000. L'Oasis rouge captait tous les regards : festival de cinéma, marathon des dunes, nouveaux propriétaires, touristes en hausse... et puis le silence. Reportage, ici sur le paysage alarmant d'un désastre écologique et urbain en marche.
C'est un demi-cercle divin. Une tenaille ocre au-dessus du vert de la palmeraie et du blanc de la sebkha. Plus loin, les remparts de la ligne de dunes font tourner le panorama à la couleur versatile du grand erg occidental. Si en plus vient le silence du couchant alors le lieu devient " biblique ", dirait le touriste belge de la table voisine. L'accès à ce promontoire céleste a un prix : 30 dinars le café noir commandé sous le parasol en fibres de hutte. C'est encore la grâce du bon vieux secteur public qui veille sur les lieux. La chambre double sans télévision est à 1800 dinars. Mais qui se souvient de la télé sur la terrasse de l'hôtel Gourara ? Ici, le génie de Pouillon habite les murs, mais point de touristes belges. A Timimoun, les grands lendemains en charters d'étrangers ont déchanté. Mais si ce n'était que cela. Le tourisme s'est craché sur un joyau qui se meurt. La palmeraie n'est plus irriguée, la sebkha est souillée par les eaux usées. L'oasis est toujours rouge. Comme une alerte.
Pas d'avions, pas de visas, pas de festival : la saison sèche du tourisme
La destination Timimoun est en panne. Sèchement. Au cœur de la haute saison, au pic des vacances scolaires, il y a des places disponibles partout. Au Gourara, au camping de la rose des sables, à l'hôtel Ighzer, dans les résidences d'accueil qui ont poussé dans les ksour environnants. Pourtant lorsque la question est posée de l'avenir économique de la ville, les petits yeux de Selkh M'hamed le débonnaire président de l'APC brillent soudainement : " pour nous c'est clair, c'est le tourisme. On a calculé que si on avait seulement 4000 touristes étrangers par an qui séjournaient à Timimoun on élèverait le revenu annuel par travailleur à 32 000 dinars en moyenne dans les commerces et les services. La catastrophe c'est d'Alger qu'elle est tombée sur nous. En septembre dernier, Air Algérie a décidé seule de supprimer Timimoun de ses dessertes. Pas rentable a t'on dit au wali d'Adrar. Les locaux préfèrent la route depuis la flambée des tarifs de l'avion et les touristes étrangers se font attendre : " ce n'est pas notre faute si le visa algérien est si compliqué à obtenir, et si les autorités ne savent pas faire la promotion de la destination Algérie dans le monde ". La vague people de Timimoun de 2000-2002 est vite retombée : les VIP du Cannes Junior et les invités de renom du marathon des dunes ont déserté les lieux depuis longtemps. " Nous n'avons pas vraiment retrouvé de retombées comme on nous l'a promis " estime M Selkh qui porte en même temps la casquette de directeur de l'office du tourisme à Timimoun. Les débris d'un ancien décor de cérémonie de clôture d'un festival Cannes junior encombre la palmeraie et un commerçant de la ville parle d'une ardoise laissée par l'organisation du Marathon des Dunes. Les lampions se sont éteints.
"C'est la catastrophe, tout le monde s'en fout "
A quelques mètres en contre bas de cette terrasse du bonheur léguée par le crayon d'un architecte amoureux du site, débute un drame à l'ombre des palmiers. L'eau des foggara ne coule que très peu. Les sols sont desséchés, les jardins abandonnés, les arbres déchiquetés, les branchages jonchés : " La palmeraie meure et tout le monde s'en fout. En haut lieu, on n'arrive pas à prendre la mesure de la catastrophe ", Daniel Emery est président de l'association française des amis de Timimoun. Il est furieux : « je ne comprends pas ce qui arrive. C'est comme si un joaillier laisser dépérir la plus belle de ses pièces sans réagir ». Le système des foggara qui achemine l'eau par des galeries souterraines à partir de nappes situées jusqu'à 15 km au sud de Timimoun est au bord de l'épuisement. Conséquence, le travail des jardins de la palmeraie s'est tarit. « Si l'eau revenait on peut espérer une reprise à au moins 50% du travail de la terre. Avec des mesures incitatives pour résister à la concurrence des emplois de service on peut ramener encore plus de monde vers la palmeraie ». Mais quoi faire pour cela ? « Il faut arrêter de parler de réhabiliter les foggara. Je suis ingénieur de travaux publics je le dis tout clair, un sauvetage de la palmeraie basé sur les foggara est impossible ». Plus personne n'accepte, en effet, aujourd'hui de descendre à 10 ou 15 mètres sous le sol pour récurer des galeries de un mètre de haut et y faire couler à nouveau une eau qu'il faudra de toute façon aller chercher plus bas avec un système de pompage.
Le naufrage de la sebkha, l'archipel des moustiques
Le maire de Timimoun lui y crois encore : " une étude en ce sens est en cours d'élaboration ". Cette étude cela fait des années que des gens de Timimoun en entendent parler. La solution que préconise le président de l'association des amis de Timimoun est de moderniser " le captage et le drainage de l'eau en amont , quitte à suivre le même chemin que les foggara mais à 2 mètres sous le sol " puis d'utiliser dans l'aval le réseau ancestral de partage de l'eau. Une expérience pilote de modernisation va être menée sur une foggara morte à la zaouïa Sid Ahmed. Les autres alliés du retour de l'eau dans la palmeraie sont les nouveaux propriétaires de jardins, venus du nord parfois associés à des étrangers. Ils ont de l'argent, ils ne sont pas paralysés par les problèmes d'héritage que connaissent les locaux et ils ont un intérêt vital à valoriser leurs parcelles de palmeraie. C'est bien pour le voir vert et fleurit qu'ils l'ont acheté. Mais l'impulsion majeur d'un plan de sauvetage de la palmeraie de Timimoun devrait venir de l'Etat. Et là, les associations prêchent dans le désert " sans mauvais jeu de mot " précise M Emery, quelque peu désabusé. Il y a un peu de quoi : tout Timimoun s'était réjouit que Chérif Rahmani le ministre de l'environnement et de l'aménagement du territoire acquiert une propriété à la lisière de la palmeraie. Pour rien. L'Etat ne regarde pas son joyau du Gourara de plus prés. La catastrophe écologique qu'est l'assèchement des jardins de la palmeraie ne va pas seule. Une tentative de rejoindre l'erg par une piste à travers la sebkha et c'est le naufrage dans le marécage made " in local ". Les eaux usées de la ville se répandent en étangs et lagunes : une végétation abondante marque ce nouveau territoire des oiseaux migrateurs. " Il aurait fallu entretenir les bassins de décantation, depuis vingt ans que les eaux usées sont acheminés dans la sebkha. Cela ne s'est pas fait. Ils se sont ébréchés et les eaux usées s'en échappent en quantité toujours plus grande " explique Daniel Emery qui avoue être un peu à l'origine de la fin des fosses sceptiques dans la ville, " on avait pas vu venir cette évolution avec de grandes quantités d'eau publique qui partent dans la sebkha parce que le prix de l'eau est forfaitaire et que les habitants ne sentent pas le besoin d'en faire l'économie " A partir de fin avril les habitants du Kseur ne peuvent plus dormir. Ils sont envahit de moustiques. La solution ? Pour M'hamed Selkh le président de l'APC elle est évidente : " il nous faut une station d'épuration des eaux usées. On protégerait l'équilibre de la sebkha, en évitant ce problème d'hygiène qui nous oblige maintenant à mener des campagnes anti-moustiques dès le mois de février. On pourrait en même temps récupérer une partie de ces eaux pour l'irrigation de la palmeraie ". Inscrit au budget 2007 ? Le maire est loin des arbitrage financiers de la wilaya. Bémol technique là aussi de l'ingénieur français amoureux de Timimoun : " je ne suis pas certain que le seuil critique de débit de l'eau nécessaire au fonctionnement d'une station d'épuration soit encore atteint à Timimoun ". La réhabilitation et l'extension des bassins de décantation pourrait être une solution réaliste et moins coûteuse. Le projet, toujours dans les cartons, de réalisation d'une station d'épuration tout comme celui de la réhabilitation à l'identique du système des foggara est il une bonne manière de " gagner " du temps ? Les touristes ne cohabiteront pas avec moustiques et poussière dans la palmeraie.
Pourtant, que l'oasis est belle…
Timimoun est bien à un tournant de sa vie. Si elle ne s'impose pas comme la grande escale du tourisme saharien algérien -hors les séjours extrêmes du Tassili et du Hoggar- dans les deux ou trois prochaines années, elle sera définitivement tentée par la croissance administrative -urbaine sur le modèle, tant honni ici, de Adrar. Avec 35 000 habitants, Timimoun n'a d'ailleurs pas attendu pas attendu les revenus d'un boom du tourisme -régulièrement reporté depuis sept ans - pour grandir et s'éloigner de son ksar originel. Djamel Selka est né à Timimoun sous occupation française. Il connaît tout de l'oasis rouge. Par temps de paix, il était professionnel du tourisme. Et s'apprête à le redevenir " aussitôt que possible ". " les premiers signes de tensions urbaines inconnues jusqu'ici sont apparues : quelques vols, des agressions. Il faut un vrai plan de relance de l'activité touristique qui donne de l'emploi aux jeunes ". Les attractions culturels sont toujours là. La visite de la médina est émouvante, la nuit du baroud pour le mouloud ennabawi est enivrante et la fête des drapeaux lors du S'boue - sept jour après - a gardé un éclat éblouissant.
Timimoun entre wilaya et nouvelle province pétrolière
L'avenir de Timimoun est résolument écrit dans le partage de son doux mystère avec l'autre. Elle le sait, qui offre sur sa grande avenue, un nombre de magasins d'artisanat optimiste sur la venue des touristes. Djamel aime raconter la légende de la fontaine d'Amghier sur la principale foggara qui traverse la Médina. " Avant, on amenait le visiteur ici et on lui faisait monter de l'eau fraîche avec le balancier. Il en boit avant de rentrer chez son hôte. On dit qu'avec cette eau d'Amghier, celui qui est venu avec un cœur malveillant, yatghaïr ". Aujourd'hui, il faut déjà venir à Timimoun.Pour la majorité des habitants de Timimoun, la solution pour donner une impulsion au développement local est de hisser ce chef lieu de daïra au rang de chef lieu de wilaya. Cela permettrait de capter des budgets importants, de créer des emplois administratifs, d'ouvrir de nouveaux chantiers. C'est la revendication principale de M'hamed Selkh le maire de la ville. Mais tout le monde ne pense pas pour autant ainsi. Djamel Selka - professionnel du tourisme - estime qu'il ne faut surtout pas commettre l'erreur d'implanter le chef lieu de la future wilaya à Timimoun. Cela tuerait le cachet touristique et culturel de la ville qui va grandir anarchiquement, subir un afflux de désœuvrés et finir par ressembler à Adrar le contre modèle de ce qu'il ne faut pas faire sur un site touristique. Daniel Emery le président de l'association des amis de Timimoun a un avis sur la question : " une partie des élites locales redoutent une arrivée massive de cadres du nord du pays dans le cas du passage au statut de wilaya. C'est légitime mais en même temps il faut bien voir que ce statut donnerait plus vite les moyens de faire face à la situation. Le bon plan pour les gens d'ici c'est d'obtenir le statut de wilaya et de chevaucher le processus pour piloter le développement de Timimoun au mieux de ses intérêts de ville patrimoine ". Djamel Selka n'en démord pas. « On peut bénéficier des moyens budgétaires d'un wilaya sans ses inconvénients. M'guiden à 140 km à l'est sur la route d'El Goléa ferait un très bon chef lieu de wilaya. Le lieu regorge d'eau et pourrait devenir très vite un grand carrefour saharien entre le Gourara et l'axe de la nationale une ». Une nouvelle donne peut tout chambouler. L'avenir pétrolier du grand erg occidental. Le premier forage de Statoil-Sonatrach est annoncé non loin de Timimoun. Le projet d'une route directe à travers l'erg occidental qui relierait la daïra de zaouïa Ed Debbagh à Brézina dans la wilaya d'El Bayadh se précise. Elle rattacherait le Gourara au Tell en moins de 700 km. Les pétroliers sont intéressés. Les habitants de Timimoun aussi.


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