L'univers de l'audit comptable et du conseil est dominé de manière impériale par ce qu'il convient d'appeler encore les “big five”, bien qu'ils ne soient plus que quatre après la disparition regrettable du cabinet Arthur Andersen. Il en est ainsi des dénominations. Tenaces et mythiques ! De nos jours, Price, Ernst, KPMG et Deloitte sont les principaux acteurs mondiaux du monde du CAC 40, du Dow Jones et autres places boursières de premier ordre sur lesquelles ils règnent sans partage. Le chiffre d'affaires de chacun de ces mastodontes dépasse les 15 milliards de dollars par an et en matière de ressources humaines, chacun d'eux emploie plus de 100 000 agents disséminés sur les cinq continents. C'est tout dire de l'envergure de ces cabinets et de leur hégémonie sur l'univers sophistiqué de la finance. Après avoir longtemps boudé l'Algérie, ces quatre cabinets ont fini par se résoudre à s'y installer, contraints sans doute par leurs gros clients qui y œuvrent, Renault, Peugeot, Danone et autres multinationales. Mais pas seulement ! Le marché, en la matière, est plutôt attractif et, conséquemment, juteux. D'autant que le développement du pays induit nécessairement le concours précieux de ces cabinets, notamment la sphère huppée du consulting. Toutefois, selon les lois qui prévalent en Algérie, ces cabinets devraient n'activer que dans le strict domaine de l'audit et de la certification des comptes et ne devraient jamais cumuler les activités de conseil. C'est même là une règle observée dans tous les pays du monde après l'explosion d'Arthur Andersen dans l'affaire dite “Enron” où le cabinet a mélangé les genres. En étant juge et partie, auditeur et conseiller, le géant Andersen a fini par avaler son chapeau. Et, depuis, on observe une scrupuleuse séparation entre l'audit et le conseil. Mais en Algérie cette règle est quelque peu bafouée, les cabinets faisant prendre aux institutions et aux entreprises algériennes des vessies pour des lanternes. Ainsi quelques cabinets installés dans la capitale soumissionnent indifféremment pour l'audit ou pour le conseil en cassant les prix comme s'il s'agissait de faire du dumping sur des produits de consommation courante. Il est des cabinets qui poussent le bouchon jusqu'à proposer des “experts” recrutés la veille dans les universités algériennes, en prenant toutefois la précaution de leur adjoindre, comme pour bien faire, deux ou trois étrangers pour faire montre d'une séniorité internationale avérée. Les institutions et sociétés algériennes se contentent quelquefois du nom prestigieux du cabinet et répugnent à regarder de plus près la qualité de l'offre, bien que s'agissant d'un appel d'offres international. En la matière, il y a pourtant un faisceau de précautions à prendre. D'abord, est-ce bien une structure internationale qui répond ? Ensuite, les consultants proposés sont-ils à la hauteur de la mission à confier ? Le tarif/jour du consultant correspond-il à son niveau de qualification ? Est-ce que la représentation d'Alger dédiée exclusivement à la fonction d'auditeur ne s'est-elle pas insidieusement infiltrée dans l'offre pour remplacer la maison mère se trouvant en Europe ou ailleurs ? Ce sont tous ces questionnements qui devront préoccuper les commissions d'analyse d'offres, plutôt que cette simple et réductrice formule du “moins-disant”. Formule qui asphyxie toute étude sérieuse. C'est ainsi que, souvent, les études en conseil et stratégie prennent de la poussière dans les tiroirs-oubliettes de nos décideurs sans jamais servir à l'objet même qui a présidé à leur élaboration. Informes, par endroits infantiles ou d'approche rébarbative, les responsables qui les ont commandées ne savent plus quel usage il faudrait en faire. Si l'expertise internationale, avérée, qualifiée et pouvant faire autorité est négligée au profit de cabinets locaux qui proposent, faute de mieux, des compétences douteuses, pourquoi alors lancer à grands frais des appels d'offres internationaux ? Comment peut-on prendre un auditeur pour un expert en conseil en stratégie, si au préalable, l'on scrutait quelque peu les CV ? Comment des “prix cassés” peuvent-ils être garants d'une bonne étude fiable et sérieuse ? Une entreprise de distribution de produits pétroliers, par exemple, vient de vivre l'effet paroxystique de ces situations biscornues où l'esbroufe et la malice remplacent le sérieux, le savoir-faire et l'expérience de consultants avertis. Ainsi, en ouvrant les plis financiers de deux soumissionnaires, les membres de la commission ont découvert une différence de prix de l'ordre de 300 000 euros. Quand l'un d'eux propose quelque 200 000 euros TTC, l'autre est à plus 500 000 euros. Les honorables délégués à cet exercice ne se sont même pas demandés à quoi est due cette différence de prix trop considérable pour qu'elle puisse paraître normale. Ils ont juste attribué le marché au mieux-disant financier. Cette politique de dumping de cabinets qui veulent coûte que coûte pénétrer les entreprises algériennes porteuses et cette tendance de nos décideurs à favoriser, en matière d'études, le prix plus que la qualité, c'est, assurément, accepter que ces études elles-mêmes peuvent n'être qu'un pisse-copie, un document commandé par ce qu'il fallait qu'il le soit. Pour faire croire que l'entreprise évolue. S'occupe d'avenir. Et, toutes ailes déployées, elle fend les sphères de la prospective. A. Y. M.