Alors que le cahier des charges n'est pas encore prêt, que les études du sol ne sont pas terminées et qu'aucun appel d'offres national et international n'est lancé, le problème des expropriations des riverains du site où va être construite la future grande mosquée d'Alger n'a toujours pas été résolu. Le cas de Abdelaoui Kheladi en est l'illustration même. Ce jeune homme de 30 ans, père de deux enfants, âgés de 6 ans et 3 ans, a été délogé de sa maison au début de l'année. “J'avais ma maison et juste à côté celle de mon frère. Il a aussi sa propre famille avec 4 enfants à charge. Le 8 janvier dernier, des représentants de l'APC, de la daïra et d'autres responsables sont venus nous demander de quitter les lieux. Le problème, c'est qu'ils nous ont envoyés, mon frère et moi, vers un seul appartement à la cité des Bananiers, à Bab Ezzouar. C'était de la hogra pure et simple puisque tout au long des dernières années, ils nous avaient promis de nous donner à chacun son propre appartement.” Revenant sur la “genèse” des évènements, il nous dira : “En 2005, on est venu nous demander, à nous et à toutes les familles qui habitent au quartier du centre de formation professionnelle, de faire un dossier pour l'expropriation. On était environ 75 familles et tous les dossiers ont été acceptés. Chaque 5 ou 6 mois on venait chez nous pour vérifier si nous étions toujours sur place et s'il n'y avait pas de nouveaux occupants. Le 5 janvier 2009, les responsables de l'urbanisme et même de la wilaya sont venus nous informer que nous aurons, mon frère et moi, chacun notre propre maison. Mais voilà que trois jours après, revirement total des autorités. Nous nous retrouvons mon frère et moi, nos femmes et nos enfants sous le même toit à la cité Zerhouni-Mokhtar. Ils nous ont bernés tout au long de ces années. Nous avons après déposé des recours au niveau de la daïra, de la wilaya et même de la présidence, mais jusqu'à maintenant notre situation n'a pas changé.” Kheladi nous informa que le 18 février dernier, les autres familles du quartier ont été délogées et ont rejoint leurs appartements dans le même quartier de Bab Ezzouar. Le plus intrigant dans ses déclarations aura été le cas des “intrus” parmi les bénéficiaires. “Parmi ceux qui ont pu obtenir les logements, plusieurs n'ont même pas été recensés à l'instar des autres”, en donnant une précision de taille : “Il y a d'ailleurs au moins 25 appartements qui ne sont pas habités et c'est la preuve qu'il y a du louche.” Ce que nous a relaté Kheladi n'est qu'une “facette” de l'expropriation concernant la construction de la grande mosquée d'Alger. Déjà en janvier dernier, une quarantaine de familles résidant à Mohammadia avait publié un communiqué dans lequel elles dénonçaient “une expropriation bâclée” qui chamboulait surtout la scolarisation de leurs enfants. Il faut à cela ajouter le cas du CHPM (Club hippique populaire de Mohammadia). Ce dernier, et suite à la décision d'expropriation “pour utilité publique” pour la construction de la grande mosquée d'Alger, est devenu (depuis plus d'un an) “SDF”. Pourtant, ses dirigeants avaient reçu la promesse de l'octroi d'un terrain du côté de Bordj El-Kiffan, mais jusqu'à maintenant, rien de concret n'a été décidé mettant ainsi en péril l'existence même du CHPM. En revenant au cas de Kheladi, il faut savoir que l'appartement qu'il occupe avec son frère n'est au nom de… personne : “On a demandé à plusieurs reprises des documents, mais on ne nous a rien donné jusqu'à maintenant. Mieux encore, on n'a jusqu'à maintenant payé aucun loyer. Pour les charges d'électricité et d'eau, nous avons nous-mêmes demandé à les payer en exigeant les factures.” Il mentionnera que lui et les autres familles expropriées sont catalogués par toutes les administrations qu'ils ont approchées en tant que “ashab al djamaê”. “Une fois, l'un des employés de l'OPGI m'a dit que notre cas est une véritable anarchie, surtout qu'ils n'ont reçu aucun document pour éclaircir notre situation auprès d'eux.” Ce bricolage, et le mot est faible, touchant l'expropriation vient notamment confirmer que le projet de la construction de la grande mosquée est mené d'une manière plus proche de l'amateurisme que du professionnalisme. Les rares démarches entreprises jusqu'à maintenant par le ministère des Affaires religieuses et des Waqfs, ainsi que par la fantomatique ANRGMA (Agence nationale de réalisation de la grande mosquée d'Alger) n'ont à aucun moment montré qu'il existait une quelconque stratégie visible. En mars dernier, des journées d'étude sur les techniques parasismiques de construction ont été organisées, et trois mois après, c'était d'autres journées d'étude sur la “durabilité des matériaux de construction”, et au bout, rien de concret n'a été élaboré. Certes, il y a les travaux de terrassements qui ont débuté depuis plusieurs mois, mais le bout du tunnel semble loin, très loin. D'ailleurs, certains font le parallèle avec le métro d'Alger. Salim Koudil