Le phénomène dure depuis des années déjà sans qu'une solution ne vienne mettre le holà. Presque quotidiennement, des tentatives de harga font la une de la presse algérienne depuis près de quatre ans, mais au bout rien n'a changé. Une banalisation dont les graves conséquences s'accumulent avec le temps. La mort d'un jeune harraga vendredi passé à Annaba en est la meilleure illustration, et d'aucuns estiment que la situation ne pourra qu'empirer avec le temps. Même si, pour certains, le fait de revenir aux “origines” du phénomène ressemblera à du déjà-vu ou du déjà-entendu, il n'en reste pas moins qu'en parler pourrait faire bouger les choses ou du moins réveiller les “endormis”. Si sur la côte ouest, la harga remonte à plusieurs années, Annaba est devenue carrément l'eldorado de l'émigration clandestine depuis la fameuse soirée du 31 décembre 2006. Cette nuit-là, plusieurs embarcations (on a parlé de plusieurs dizaines) avaient quitté la côte bônoise pour accoster en Italie. C'était le début de la déferlante avec des départs sans interruption des jeunes Annabis vers le “paradis” européen. Pendant plusieurs mois, des embarcations de fortune faisaient des allers et retours au vu et au su de tout le monde. Au début, il n'était plus question d'aventures et d'anecdotes croustillantes qui faisaient le tour de la région. La meilleure était peut-être celle du jeune qui avait rejoint l'Italie juste pour fêter le réveillon de “l'autre côté”. Après avoir “bien” festoyé et n'ayant aucun moyen pour rester, ou pour rentrer, il n'a pas trouvé mieux que de… gifler un policier pour être expulsé illico presto. Plus proche de la légende que de la réalité, cette histoire n'est même plus évoquée. Au côté simpliste et naïf du début, la harga a pris rendez-vous avec la mort, le malheur et l'injustice de la justice. Plusieurs corps inanimés ont été retrouvés en haute mer, et la plupart étaient dans un état de décomposition avancé. Issus de différentes catégories sociales, ces harragas emportés par les vagues et l'insouciance étaient, et sont toujours, l'illustration même de l'échec des politiques. Tous en parlent mais personne ne propose de solutions palpables. Pis encore, quand ils s'immiscent, c'est pour culpabiliser les jeunes sans rien remettre en cause. Depuis l'été 2008, les migrants clandestins risquent des condamnations à des peines allant jusqu'à six mois de prison. Les déclarations du professeur Mohand Issad sur nos colonnes (édition du 16 février 2009) sont édifiantes quant aux arrière-pensées de cette loi : “Pourquoi criminaliser ? Comment différencier un harraga d'un voyageur ordinaire ? On ne peut pas le deviner. Sur le fond, je prends une barque avec un, deux, trois, même cinq copains, je vais vous dire que je me promène et si les eaux territoriales sont dépassées, personne n'a le droit d'intervenir, car il s'agit des eaux internationales. La loi qui criminalise les harragas est (…) une loi scélérate.” Mais il y a aussi les cas tragiques des disparus. Une “catégorie” qui a touché tellement de familles que l'“association des familles des harragas disparus” a été créée depuis près de deux ans. Son infatigable président, Kamel Belabed, en compagnie de son acolyte Boubekeur Sabouni, ne cesse de frapper à toutes les portes pour retrouver les traces de son fils et les autres jeunes qui n'ont donné aucun signe de vie depuis la nuit de leur harga. Malheureusement, ses efforts n'ont donné aucun résultat tangible. Contacté par nos soins hier, Belabed s'est dit consterné par les nouvelles vagues de harragas interceptés : “Ça continue de plus en plus et personne ne veut rien faire pour arrêter ça.” Question chiffres, il dira : “À mon niveau, et avec mes simples moyens, je peux vous affirmer que j'ai pu recenser 300 disparus. Le nombre peut atteindre facilement les 10 000, cependant ce n'est pas à moi de les comptabiliser.” Avant de lancer un appel : “Depuis des mois, je demande de l'aide aux autorités mais on me ferme tout le temps les portes. En même temps, la situation s'aggrave et tout le monde détourne son regard de la très dure réalité qui est derrière le nombre incessant des harragas.” En décembre dernier, Liberté avait publié un sondage aux résultats révélateurs, dont le plus significatif était que “près de 50% des Algériens affirment être des futurs harragas”. Ni avant ni après, aucun engagement palpable des responsables n'a été signalé pour essayer d'éviter la “déferlante” annoncée. En attendant, la mort prend rendez-vous presque quotidiennement avec la mer. Salim Koudil