Quelqu'un m'a demandé mon âge, après avoir vu la vieillesse grisonner sur mes tempes et sur les boucles qui traînent sur mon front. Je lui ai répondu : une heure. Il m'a dit : “Que dites-vous là ? Expliquez-vous.” J'ai dit alors : “Un jour, par surprise, j'ai donné un baiser, un baiser furtif, à celle qui tient mon cœur. Si nombreux que doivent être mes jours, je ne compterai que ce court instant, car il a été vraiment toute ma vie.” Ibn Hazm, écrivain andalou du Xe et XIe siècles (le Collier de la colombe) L'heure de la lecture est un temps compté parmi les jours de la vraie vie. De cette heure-là, ne nous revient que la lumière. Souvent, on parle, avec fascination, de cette culture de la lecture dans les pays développés : des gens qui lisent en rentrant chez eux, qui lisent en partant de chez eux, dans le métro, dans les bus, dans les trains ou dans d'autres moyens de transports publics. Nous citons, fréquemment, cet exemple pour illustrer l'importance allouée à la lecture dans le quotidien des autres, ceux qui se trouvent sur la rive nord de ce bassin appelé “la Méditerranée”. Et nous évoquons, à chaque fois, cet exemple pour se lamenter sur le sort de la lecture chez nous. Pour crier le danger qui menace “la vie” du livre, dans nos pays sur la rive sud. Aux Etats-Unis, les Américains, plutôt les fans du livre, ont trouvé une autre façon pour “pêcher” le lecteur, plutôt pour le “pécher !” dont l'appât n'est que le bon livre : roman, récit, théâtre ou recueil de poésie. Les Américains appellent cette démarche “Livre oublié”. Ainsi, il y a des associations pour la promotion du livre et de la lecture, qui abandonnent des livres sur les bancs des jardins publics afin d'offrir aux visiteurs une heure de plaisir. Sur la dernière page du livre abandonné est inscrit un petit message : “Après lecture, merci de laisser le livre pour un autre lecteur”. Mais il existe un autre espace qui permet l'accès au livre et au plaisir de la lecture. Aujourd'hui, je vais vous parler d'un autre espace très fréquenté par les Européens. Ils l'utilisent pour la lecture quotidienne ; nous aussi, nous le possédons : les toilettes. Une chose est remarquable dans les appartements des Européens, c'est l'aménagement de l'espace “toilettes”. Dans ce lieu sanitaire nous constatons la tenue d'une sorte de bibliothèque. Des rayonnages sont montés, remplis de bouquins, de revues, de journaux, des guides, etc. La vie du citoyen européen est faite, comme ça, encerclée de culture et du plaisir du “lire”. Le temps dépensé dans la lecture, pendant les moments privés aux toilettes, compte beaucoup chez les autres peuples pour le développement intellectuel. Si nous saisissons, quotidiennement, un quart d'heure de ce temps “intime“ passé aux “toilettes" pour la lecture, nous allons nous retrouver avec une séance de lecture mensuelle, de cent cinquante minutes de lecture, huit heures ! Et d'après les statistiques de l'ONU, l'Arabe ne lit pas plus d'un quart d'heure par an ! Une chose est sûre, par l'aménagement de l'espace “intime-toilettes”, avec quelques rayonnages de livres et revues, nous parvenons à révolutionner la culture du livre, faire régner le plaisir du lire, et ainsi nous nous réconcilierons avec la culture. Et parce que nous n'avons pas de métro, jusqu'à preuve du contraire, et nous ne possédons pas de trains confortables et sécurisés, pas de bus commodes, pas de jardins publics avec des bancs et du silence ! Parce que nous n'avons pas tout cela, comment, donc, arriver à ramener le citoyen à la lecture ? Peut-être c'est l'heure d'appeler les citoyens, commençant par la classe moyenne, à un nouvel aménagement “des toilettes” en y plaçant quelques rayonnages-livres. Essayez cela, vous allez découvrir que les espaces, tous les espaces domestiques, peuvent changer complètement notre vie intellectuelle. A. Z. [email protected]