Deux hommes, l'un bon, l'autre méchant, partirent ensemble pour faire le commerce ; ils portaient des vivres. Aussitôt le méchant dit à l'homme de bien : «J'ai faim, donne-moi de tes vivres.» Celui-ci lui en donna, et ils mangèrent tous les deux. Ils marchèrent jusqu'à ce qu'ils eussent faim : «Donne-nous de tes vivres,» dit le méchant. Celui-ci lui en donna et ils mangèrent. Ils marchèrent jusqu'à ce qu'ils eussent faim : «Donne-nous de tes vivres,» dit le méchant. Celui-ci lui en donna et ils mangèrent. Ils marchèrent jusqu'à ce qu'ils eussent faim. L'homme de bien dit à son compagnon : «Donne-nous de tes vivres.» - «Ah ! mon cher, répondit le méchant, non.» - «Je t'en conjure, donne-nous de tes vivres,» reprit l'homme de bien. «Laisse-moi t'arracher un œil,» repartit le méchant. Celui-ci y consentit ; le méchant prit des pincettes, et lui arracha un œil. Ils marchèrent jusqu'à un certain endroit. La faim les pressait. «Donne-nous de tes vivres,» dit l'homme de bien. «Laisse-moi arracher ton autre œil,» répondit son compagnon. «Ah ! mon cher, reprit l'homme de bien, laisse-le moi, j'en ai besoin pour voir.» - «Non, répondit le méchant, pas d'œil, pas de vivres.» A la fin, il lui dit : «Arrache-le.» Ils marchèrent jusqu'à un certain endroit ; comme la faim les pressait de nouveau, le méchant abandonna son compagnon. Un oiseau vint à passer et dit à celui-ci : «Prends une feuille de l'arbre que voilà, et applique-la sur tes yeux.» Il prit une feuille de l'arbre, l'appliqua sur ses yeux et recouvra la vue. Il se leva, continua sa route. Il arriva à une ville où il trouva celui qui lui avait arraché les yeux. «Qui t'a guéri ?» demanda ce dernier. «Un oiseau est passé près de moi, répondit l'homme de bien, il m'a dit : prends une feuille de l'arbre que voilà. Je l'ai prise, je l'ai appliquée sur mes yeux, et me voilà guéri.» L'homme de bien trouva le roi de la ville aveugle. Le roi lui dit : «Rends-moi la vue et je te donnerai ma fille.» Il lui rendit la vue et le roi lui donna sa fille. L'homme de bien emmena son épouse chez lui. Chaque matin, il allait présenter ses respects au roi en lui baisant la tête. Un jour il tomba malade ; il rencontra le méchant qui lui dit : «Mange un oignon, tu guériras ; mais, quand tu baiseras la tête du roi, détourne la tête, autrement il sentirait la mauvaise odeur de ton haleine et te tuerait.» Après ces paroles, il courut chez le roi : «O roi, lui dit-il, votre gendre vous méprise.» - «O mon cher, répondit le roi, mon gendre ne me méprise pas.» - «Surveillez-le, reprit le méchant, quand il viendra vous baiser la tête, il se détournera.» Le roi aperçut son gendre qui se détournait en lui baisant la tête. «Attends un instant,» lui dit-il. Aussitôt il écrivit une lettre au sultan, la remit à son gendre en lui ordonnant de la porter au sultan. En sortant du palais, celui-ci rencontra le méchant qui voulut porter la lettre lui-même. L'homme de bien la lui remit. Le sultan lut la lettre et fit couper la tête au méchant. L'homme de bien revint chez le roi : «Qu'a-t-il répondu ?» demanda le roi. «Ah ! Sidi, j'ai rencontré untel qui a voulu porter la lettre. Je la lui ai confiée, il l'a remise au sultan. Le sultan l'a fait exécuter.»