Abdelaziz Baghiani, docteur d'Etat en économie mathématique et en économétrie en plus de plusieurs diplômes, master et DEA en audit, contrôle de gestion et en économie de production a occupé plusieurs postes de responsabilité au sein d'entreprises comme Enie et Cosider ainsi qu'au niveau des banques en Algérie et à l'étranger. Consultant pour le compte du groupe Sonatrach, cet expert revient sur les dispositions de la loi de finances complémentaire 2009 et évoque la question du crédit documentaire et son importance dans l'évolution des importations afin de retracer les flux financiers. Liberté : Que reproche le patronat à la loi de finances complémentaire 2009 ? Abdelaziz Baghiani : La principale critique des organisations patronales concerne le paiement des importations. Trois inquiétudes principales ont été exprimées : augmentation des commissions, prolongation des délais, incidence sur la trésorerie des entreprises. Augmentation des commissions : pour les importateurs, ces nouvelles dispositions ne lèseraient que les entreprises algériennes au profit des banques, surtout étrangères, des fournisseurs étrangers. Prolongation des délais : ils considèrent que le crédit documentaire implique une procédure qui exige des délais d'approbation et de notification/confirmation plus longs. Importance des coûts de la trésorerie : cette procédure de paiement exige la mobilisation immédiate des ressources financières de l'entreprise créant des tensions sur son cash-flow. L'entreprise doit provisionner obligatoirement l'engagement par signature pris par sa banque. Ceci réduira sa liquidité à court terme et augmentera son endettement qui, selon l'assise financière, pourrait devenir structurel par la suite. Un tel opérateur aura recours au crédit bancaire plus souvent qu'auparavant, supportant ainsi un volume d'agios sensiblement plus important. La loi de finances complémentaire 2009 rend obligatoire le paiement des importations par le crédit documentaire. Qu'est-ce que cela signifie ? En effet, l'article 69 stipule que le paiement des importations s'effectue obligatoirement au moyen du seul crédit documentaire. Cela veut dire que, désormais, les autres modes de paiement internationaux que sont le transfert libre et la remise documentaire ne doivent plus être utilisés pour l'importation des biens. Toutefois vous remarquez que le second alinéa du même article accorde aux autorités monétaires et au ministre chargé des Finances une certaine marge d'interprétation. En cas de besoin, ces autorités prendront des dispositions complémentaires. Qu'est-ce qui justifie cette révolution dans les modalités d'importation ? D'après le rapport annuel de la Banque d'Algérie, l'année 2008 a été marquée par une envolée des importations des biens et services. Les importations, qui n'étaient que de 18 milliards de dollars en 2004, ont connu durant l'année 2008 une très forte expansion par rapport à 2007 (+44%), passant à 38 milliards de dollars. Les principaux postes sont : 7,3 milliards de dollars d'importation pour l'alimentaire, 4,1 milliards de dollars d'importation des biens de consommation et 26,5 milliards de dollars d'importation des matières premières et biens d'équipement. La comparaison des seconds semestres 2007 et 2008 est encore plus inquiétante : produits alimentaires : + 42%, biens d'équipement industriels et agricoles : + 41%, demi-produits : + 42%. Une évolution aussi importante et aussi massive imposait aux pouvoirs publics une réaction rapide pour maîtriser la situation. Les opérateurs économiques déclarent unanimement que le Credoc est cher. Certains patrons d'entreprises estiment que si toutes les importations algériennes se faisaient par Credoc, elles reviendraient 5 à 10% plus cher pour le pays. Qu'en est-il ? En 2008, l'Algérie a importé pour 38 milliards de dollars US, si l'affirmation de ces patrons est réaliste, le mode de paiement Credoc aurait dû coûter à l'Algérie 2 à 4 milliards de dollars dont 600 millions de dollars versés en devises aux banques étrangères. Ces chiffres colossaux montrent qu'il y a de l'exagération. Une simulation que j'ai effectuée récemment avec des données réelles d'une banque algérienne qui pratique ce mode de paiement à une grande échelle et depuis longtemps a conclu que le coût par mode de paiement rapporté au coût de la marchandise s'établit comme suit : - Transfert libre : 0,27 pour cent - Remdoc : 0,27 pour cent - Credoc sans confirmation : 0,45 pour cent - Credoc avec confirmation : 0,95 pour cent Cette simulation a pour hypothèses : une opération d'importation de 100 000 euros pour une contre-valeur de 10 millions de dinars, le délai maximum de crédit documentaire est de 90 jours. L'opérateur provisionne son crédit à 100%. Les conditions de banque sont telles que réellement appliquées par une banque publique de commerce extérieur ; la simulation faite entre les principaux modes de paiement utilisés : transfert libre, remise documentaire, crédit documentaire irrévocable sans confirmation et avec confirmation. Il y a donc deux crédits documentaires différents ? Bien sûr, il existe une multitude de crédits documentaires basés sur un même principe mais se distinguant les uns des autres par les modalités d'application. Ces instruments sont normalisés et codifiés par la Chambre de commerce internationale dans les règles et usances uniformes. Il convient de rappeler que ce dispositif est en usage depuis bientôt un siècle. Les plus utilisés sont le crédit documentaire irrévocable et “straight”, le crédit documentaire irrévocable par négociation, le crédit documentaire irrévocable et non confirmé, le crédit documentaire irrévocable et confirmé, le crédit documentaire revolving, lettre de crédit stand-by et le crédit documentaire transférable. Quelle différence y a-t-il entre le transfert libre, la remise documentaire et le crédit documentaire ? Le transfert libre est un moyen de paiement qui nécessite une confiance absolue entre le vendeur et l'acheteur. L'importateur algérien qui bénéficie de cet instrument a l'avantage de payer son fournisseur à sa volonté, la banque n'engageant nullement sa responsabilité. sLorsque le vendeur ne fait pas confiance à l'acheteur, il utilise les autres instruments. Lorsque le vendeur doute de son client mais fait confiance à la banque de son client, il utilise la remise documentaire. La banque garantit l'encaissement en échange de la livraison de la marchandise. Dans le cas de perte de confiance entre acheteur et vendeur et entre vendeur et banque algérienne, on a recours au crédit documentaire qui est un moyen de paiement faisant appel à deux banques : celle de l'acheteur qui est la banque émettrice et une banque située dans le pays du vendeur qui notifie à ce dernier en sa qualité d'agent de la banque émettrice. Lorsque disparaît toute confiance, on utilise le crédit documentaire confirmé qui engage la responsabilité des deux banques. Qu'apporte le crédit documentaire à l'Algérie ? D'une manière générale, le crédit documentaire est une facilité bancaire pour réaliser une transaction commerciale internationale. Elle constitue un gage de sécurité pour toutes les parties au contrat. La banque émettrice ou, le cas échéant, la banque confirmante s'acquittera de ses obligations sous réserve du respect des termes et conditions du crédit documentaire. C'est donc une garantie de paiement, sous réserve du respect des termes et conditions du crédit documentaire. Ce mode de paiement est fondé uniquement sur des documents. L'Algérie, pays importateur a les avantages suivants : elle peut élargir les sources d'approvisionnement pour l'acheteur. Ce moyen peut permettre à l'acheteur d'obtenir les marchandises à meilleur prix et avec des délais de paiement plus longs que dans le cas d'un transfert libre. Il répond aux besoins de financement du vendeur et de l'acheteur en leur offrant la qualité de la signature de la banque. L'acheteur a l'assurance que les documents exigés par le crédit documentaire devront être présentés en conformité avec les termes et conditions du crédit documentaire et des normes du commerce international. Il a aussi l'assurance que les documents présentés seront examinés par un personnel bancaire au courant des opérations de crédit documentaire. Il peut être certain que le vendeur ne sera payé qu'une fois respectés tous les termes et conditions du crédit documentaire et des normes du commerce international. Les crédits documentaires sont fondés sur une grande diversité de lois et réglementations, ce qui leur permet une applicabilité universelle. Parmi tous les moyens de paiement internationaux, le crédit documentaire est celui qui garantit la meilleure traçabilité des transactions commerciales. Que recommandez-vous ? Mes recommandations visent trois axes : minimiser les coûts associés au moyen de paiement, réduire les délais, diminuer la tension exercée sur la trésorerie des entreprises. L'atteinte de ces objectifs sera encore favorisée par des mesures d'accompagnement. Pour minimiser les coûts, il faut : éviter autant que possible le crédit documentaire confirmé, négocier à la baisse les frais de notification bancaire (importateur via sa banque), en cas d'importations répétitives chez le même fournisseur et recourir au crédit documentaire “revolving”. En conclusion, l'objectif consiste à ce que le vendeur ne soit pas enclin à augmenter le prix de la marchandise aux motifs qu'il aurait à supporter des frais bancaires supplémentaires et que l'acheteur puisse obtenir les marchandises à de meilleurs prix et avec des délais de paiement plus longs que dans le cas d'un transfert libre. Pour réduire les délais, la banque et l'importateur vont essayer de ne pas dépasser le délai de 90 jours, du fait que les commissions sont calculées par trimestre mobile indivisible, organisation adéquate au sein des banques avec une prise en charge immédiate des opérations du commerce extérieur en améliorant particulièrement leur système d'information. Si la confiance entre l'acheteur et le vendeur existe, le crédit documentaire peut être ouvert à la dernière minute (après expédition de la marchandise) réduisant ainsi les délais et donc le coût. Réduire les coûts de la trésorerie : Pratique actuelle : la majorité des banques publiques n'exigent pas du secteur public de constituer une provision pour le Credoc. Par contre, le secteur privé doit constituer une provision pouvant atteindre 110%. La commission d'engagement pour les Credoc provisionnés à hauteur de 100% est de 2,5 pour mille, par contre elle est de 6,25 pour mille pour le Credoc non provisionné. Améliorations souhaitables : aligner le traitement du secteur privé sur celui du secteur public en matière de provision. La banque, étant propriétaire de la marchandise jusqu'au paiement définitif, devrait proportionner sa rémunération au risque effectif qu'elle prend. S'agissant des mesures d'accompagnement, je préconise certains allégements fiscaux dans la ligne de l'article 7 de la loi de finances complémentaire 2009 ainsi que des mesures relevant de la Banque d'Algérie et des pouvoirs publics. L'Etat peut prendre d'autres mesures fiscales comme par exemple l'exonération des commissions liées au paiement par crédit documentaire irrévocable sans confirmation destinée surtout aux importations des biens et équipements. Concours de la Banque d'Algérie : l'effort de la Banque d'Algérie peut être apprécié à deux niveaux : réduire les coûts liés aux dépôts à vue au sein des banques, en exonérant les provisions pour Credoc au moment des paiements des charges par les banques dans le cadre des rémunérations des dépôts de garantie. Dans l'hypothèse où le volume des importations réalisé par Credocs serait provisionné à hauteur de 110% (pratique actuelle), l'impact financier pour les banques serait conséquent. Les intérêts créditeurs à servir dans ce cadre devraient venir en déduction de la commission récoltée au titre de l'ouverture des Credocs. La Banque d'Algérie disposant de l'autorité de fixer les règles générales en matière de conditions de banque applicables aux opérations de banque, devrait imposer une limite à respecter par les banques et établissements financiers pour les opérations de crédit documentaire. Accompagnement des pouvoirs publics : la trésorerie des opérateurs économiques est obérée par les délais de paiement des administrations. Globalement, les délais de paiement en Algérie ont dépassé les limites tolérables, pour atteindre parfois 120 jours, voire plus. Cette situation est particulièrement préjudiciable aux PME. La réduction des délais de paiement des dettes de l'Etat est de nature à générer un climat favorisant le développement des PME et autres opérateurs qui, à leur tour, se satisferont de délais de paiements courts en faveur de leurs fournisseurs. Cette considération a conduit certains pays européens à prendre une directive (n°000-35/CE du 29 juin 2000) qui a instauré la règle générale d'un délai de règlement des sommes dues fixé au trentième jour suivant la date de réception des marchandises ou d'exécution de la prestation demandée. M. A.