Liberté inaugure une série consacrée aux familles touchées par le séisme du 21 mai dernier. Car, entre les difficultés quotidiennes, la chaleur et les vacances scolaires, la vie dans les camps continue. La ville de Boumerdès souffre des grandes chaleurs de l'été. Depuis le séisme du 21 mai dernier, cette ville, distante d'à peine une cinquantaine de kilomètres de la capitale, a été envahie par des tentes. La plupart de ses espaces libres, comme les stades de la cité des 1200-Logements, de la wilaya et de l'Institut national des hydrocarbures, le terrain limitrophe à l'Institut national de l'électronique, celui faisant face à la grande place réservée au marché hebdomadaire et même un côté de la sablière, ainsi que le terrain de l'oued Tatareg se sont transformés en camps de toile pour accueillir les sinistrés. “Depuis la catastrophe de mercredi 21mai, nous sommes devenus des nomades, mais des nomades forcés et un peu perdus dans ce nouveau décor”, nous confie un jeune homme de la cité des 1200-Logements, en montrant un nuage de poussière, non loin du centre commercial. “Vous voyez ces décombres, eh bien, c'était l'immeuble où je suis né et où j'habitais ! C'est l'histoire d'un cauchemar qui n'a pas fini de nous hanter”, se remémore notre interlocuteur d'une voix brisée. Nous regardons autour de nous. Que reste-t-il de la cité des 1200-Logements ? Depuis le 6 juillet dernier, des camions s'affairent, jour et nuit, pour “ramasser” les immeubles effondrés et ceux qui menacent de s'écrouler à tout moment. Cette décision d'accélérer les travaux de déblaiement a un effet direct sur le moral et le comportement des habitants. On est loin des étés passés, de l'animation bon enfant dans la cité, des courses à vélo, des cris des enfants, des sorties fréquentes et décontractées à la plage et des promenades en famille ! On est loin de ces arrivées en force des émigrés, de leur gaieté “maladive” et de leur curiosité. Dans le petit stade de la cité, les familles installées sous des tentes mènent la guerre à la poussière, aux moustiques et à la chaleur. Tous les tapis synthétiques et les couvertures, posés par terre, ne font que remuer le couteau dans la plaie. “Il m'arrive de me dire que nous sommes en camping pour tenir le coup, mais je n'y arrive pas sous cette canicule. J'ai toujours l'impression d'être dans la rue…”, raconte une enseignante. “Voulez-vous entrer un moment dans mon fourneau ?”, plaisante la dame. L'intérieur de la tente est sombre et bien rangé. L'air est étouffant en ce début d'après-midi. Une petite table sculptée trône au milieu de la tente. Sur le côté droit, sont posés des matelas, un ventilateur et deux chaises. Sur le côté gauche, se trouvent deux grandes valises, un matelas sur lequel dort un petit garçon de deux ou trois ans et, plus loin, un coin réservé à la cuisine, comprenant deux cartons enveloppés d'un tissu blanc, un réchaud, une bouteille de gaz, des jerricans, des bouteilles d'eau et un bidon. Notre hôtesse suit notre regard et dit calmement : “C'est le plus jeune de mes enfants que vous voyez là. Les deux autres sont actuellement chez ma sœur. Le plus grand doit préparer son Bef.” L'enseignante nous avoue son désarroi : “Mon mari et moi n'arrivons pas à nous organiser ni à faire des projets, car nous ne savons pas ce qui nous attend à la rentrée. Je ne sais même pas comment faire avec les enfants, si cette situation perdure”, déclare-t-elle, en s'essuyant pour la énième fois le visage. Puis d'ajouter : “Je ne bouge pratiquement plus du camp. Je n'ai pas intérêt à rater l'heure de la distribution de l'eau ; je dois préparer les repas, m'occuper de la vaisselle et de la lessive, garder la tente par peur d'être volée et parfois par simple réflexe.” Nous quittons notre hôtesse, ruisselant, de sueur. Dehors, l'air est relativement plus clément. Nous entrons à l'école primaire, par une porte communicante. Ici, trois, quatre familles, parfois plus, sont entassées dans une même classe et vivent mal la perte de leur intimité, Les sinistrés n'échappent ni à la chaleur ni à l'humidité mais ils se sentent “mastourine”, c'est-à-dire protégés des regards intrus par les murs et la porte de la salle de cours. Mais ils se plaignent de la cohabitation et certains en sont arrivés à installer des séparations, à l'aide de cordes et de draps. Comme dans le site précédent, on se plaint des bruits et des “mauvaises” habitudes des autres. Mais, ce sont surtout les candidats au Brevet de l'enseignement fondamental et au baccalauréat qui sont les plus perturbés. À l'école primaire, les quelques arbres et bancs d'école permettent aux familles de s'installer dans la cour, dans les moments de fraîcheur. Il n'empêche, le stress est réel parmi cette catégorie de sinistrés, qui vit dans l'attente d'un relogement ou d'un retour dans ses quartiers. “On n'a pas l'esprit aux vacances. Tout le monde est là à attendre le jour du départ”, estime un père de famille, en reconnaissant plus loin : “Je me sens quelque part vidé. Je vis dans une sorte de torpeur. J'ai toujours l'impression qu'il y aura un autre séisme, peut-être plus fort que le premier. C'est peut-être ça la définition d'un sinistré.” Pour Nadjia, qui vit depuis plus de dix ans chez sa mère, avec son époux et son fils, “l'été est synonyme d'enfer”. Salariée à la Société nationale des véhicules industriels (Snvi) de Rouiba, cette sinistrée a été mise en congé forcé avec bon nombre de ses collègues, au lendemain du tremblement de terre. Nadjia nous livre son témoignage : “L'été a toujours été une sorte de thérapie pour tous, même dans les moments de terrorisme. L'été est resté cette occasion de se reposer, de bouquiner, de recevoir des invités. L'été, il y a un an, c'était la plage, les promenades jusqu'à une heure avancée de la nuit et les soirées devant d'un beau film ou autour d'un jeu de cartes. Aujourd'hui, je vis avec une nouvelle incertitude sur le plan professionnel.” Nous continuons notre visite des camps de sinistrés. Le cas du site de l'oued Tatareg, mis en place par le groupe pétrolier Sonatrach, attire notre attention. Ici, les familles semblent plus aguerries, décidées à se sentir mieux dans leur espace. Elles ont délimité leurs frontières avec des roseaux. Beaucoup de ménages ont récupéré des meubles : des canapés, des fauteuils, un buffet, la table de cuisine ou le réfrigérateur. Certains ont couvert le sol de gravier, installé un parasol, une parabole, ou un ventilateur. Il y a même une famille sinistrée qui a posé une porte en fer avec une serrure ! Virée au centre-ville. Les tentes sont toujours omniprésentes, notamment du côté du lycée. Dans ce camp, les sinistrés livrent bataille à la chaleur et à la précarité. “Pratiquement, tous les camps de Boumerdès sont exposés au soleil. Tous les espaces verts ont été bouffés par le béton. Il y a très peu d'arbres, mais beaucoup de moustiques”, souligne un habitant d'une voix coléreuse. Ce dernier précise que les familles attendent le feu vert des ingénieurs du CTC, pour réoccuper leur appartement. Nous décidons d'aller du côté de la plage. Il y a très peu de baigneurs cette année. Les touristes semblent déconcertés par cette paix inhabituelle. Le Front-de-mer a l'air abandonné, sans ses couleurs et ses curieux. “Je ne reconnais plus la plage de Boumerdès et ça me fait tout drôle de nager dans le calme. C'est tellement vide et nu !”, résume un habitant du Figuier. Les marchands de beignets ont, aujourd'hui, déserté les lieux, car ils savent mieux que quiconque que les gens de Boumerdès, mais aussi ceux des communes limitrophes, qui avaient l'habitude de descendre jusqu'au Rocher noir, ont vécu une tragédie, un certain 21 mai 2003. Malgré cela, des cafés et quelques pizzerias enregistrent, ces jours-ci, l'arrivée timide mais régulière de couples et de jeunes. “D'ici au mois d'août, il y a des chances de retrouver une certaine animation”, prédit un garçon de café, avant de nous lancer sur un ton de défi : “Alors, on parie ?” H. A.