Suite aux conclusions de la commission d'enquête, désignée le 28 juin par le ministre de l'Habitat et de l'Urbanisme, une plainte a été déposée, samedi dernier, près les procureurs généraux des cours d'Alger et de Boumerdès. Cette plainte fait suite aux anomalies graves relevées dans les conclusions de la commission technique chargée de rechercher les causes des effondrements d'immeubles et d'édifices publics, lors du séisme du 21 mai dernier. Si le ministre de l'Habitat a demandé l'ouverture d'une enquête judiciaire pour déterminer les responsabilités des intervenants dans l'acte de bâtir, c'est qu'il y a eu des anomalies flagrantes dans la construction des immeubles effondrés. En effet, la destruction de quartiers entiers avait fait beaucoup de victimes et suscité la colère des survivants. Il est, aujourd'hui, admis que les immeubles n'ont pas été bâtis selon les normes antisismiques. Contacté par nos soins, le chargé de la communication au ministère de l'Habitat a refusé de nous livrer les rapports des commissions d'enquête, qui ont conduit le ministre à s'orienter vers les tribunaux. Mais les témoignages des sinistrés sont là. De nombreux citoyens ont montré devant les caméras et aux journalistes un béton friable qui, évidement, ne pouvait résister à un séisme de cette magnitude. Partant de là, tous les soupçons se sont dirigés vers les opérateurs publics et privés d'un secteur où les “affaires” et l'intrusion de faux entrepreneurs sont légion. Les malfaçons étant avérées, les sinistrés n'ont pas accepté de se résigner à l'idée d'une malédiction divine. Ils demandent des comptes. C'est sous leur pression que le président de la République a promis que justice sera rendue. Aujourd'hui donc, il est demandé aux tribunaux de faire toute la lumière sur les dégâts provoqués par le séisme du 21 mai dernier. Pourtant, les suites attendues de ces plaintes ne manquent pas de laisser sceptiques les spécialistes. Les responsabilités sont si nombreuses et imbriquées qu'il ne sera pas facile de démêler l'écheveau. Ces réserves ont été exprimées, hier, lors d'une conférence de presse du CNEA (Collège national des experts architectes) animée par son président, M. Boudaoud (lire également l'article de Baddredine Khris en page 7) et le professeur Chelghoum, spécialiste en numérique parasismique. Cette rencontre avait pour objectif d'informer le public des recommandations retenues après une journée d'étude faite le 9 juin dernier, consacrée à la gestion des zones à risques en matière de séisme. Cette rencontre avait permis à ces spécialistes d'exposer le fruit de leurs travaux d'évaluation des conséquences du séisme et de la reconstruction. Il est reproché aux responsables la non-association des compétences nationales en la matière. Ils qualifient le ministère de l'habitat de structure de quantité et non de qualité. Les arguments avancés, pour n'en citer que quelques-uns, parlent de la démission et de l'incompétence des collectivités locales. Ils remettent en cause toute la conception et l'organisation en matière de normes de construction et ce, dans tous les secteurs, du bâtiment aux gros œuvres, tels les barrages et les ponts. Les arguments ne manquent pas. Il ont pointé l'inexistence de code de construction qui, déjà, est soumis à un préalable : il faut que les matériaux de construction soient normés techniquement. Autrement dit, aucun code de construction ne peut être élaboré. Parmi les autres arguments cités, on relève, pêle-mêle, celui du vide juridique, du chevauchement de prérogatives et de la carence dans la formation des ingénieurs. Le Contrôle technique des constructions (CTC) est doté d'une mission de service public et non de force publique. Donc, chaque partie agit en fonction de ses intérêts spécifiques au vu et au su des collectivités locales. Cela entraîne la non-existence de contrat et, évidemment, la difficulté à situer les responsabilités. En réaction à la décision du ministère de l'Habitat de déposer plainte, ces spécialistes suggèrent de poursuivre en Justice tout un système : celui de la non-organisation de l'acte de bâtir à tous les niveaux. Il faut revoir tout et mettre en application le code de construction et épouser le code parasismique élaboré par des experts algériens en collaboration avec des spécialistes étrangers, après le séisme d'El-Asnam en 1980, préconisent-ils. En conclusion, les orateurs n'ont pas manqué d'exprimer leur inquiétude quant au rythme avec lequel sont menées les reconstructions. Ils redoutent que, dans la précipitation, les mêmes erreurs soient rééditées, les causes engendrant les mêmes effets… M. B. Bordj Ménaïel, ville fantôme Plus de deux mois après le séisme, la ville de Bordj Ménaïel garde toujours un décor lamentable, voire apocalyptique. Entamées deux semaines seulement après la catastrophe, les opérations de démolition et d'évacuation des gravats se poursuivent encore. La chaleur et la poussière rendent l'air irrespirable. La circulation automobile est déviée en plusieurs endroits. Du boulevard Amirouche, une grande avenue qui traverse le centre-ville, il ne subsiste pratiquement rien. Des magasins sont endommagés, des boutiques éventrées et d'autres commerces attendent encore d'être démolis. La ville est méconnaissable. Dans les camps de toile, c'est le calvaire, car si dehors il fait chaud, à l'intérieur des tentes on a un avant-goût de l'enfer. La chaleur est insupportable. Au camp Bastos, situé à la sortie sud de la ville, 125 familles y vivent dans des conditions infrahumaines : ni couverture sanitaire ni ambulance. Pis, depuis le séisme, 4 cas de typhoïde auraient été déclarés dans ce site. Mêmes misère et souffrance dans le campement du lycée chafaï. Le site dispose de 100 tentes qui accueillent 150 familles. Il se trouve même qu'une famille de 22 membres est mise sous une seule tente. Là aussi, l'hygiène et la sécurité manquent énormément. À cela s'ajoute le problème des 60 familles menacées d'expulsion. La cause ? Elles sont soupçonnées d'être de “faux sinistrés”, ce qu'elles réfutent catégoriquement car, elles voient en cette menace une énième provocation et un mépris de plus à leur égard. “Il y a 20 familles ici dont les demeures ont été classées orange 3 et 4. Où est-ce qu'ils veulent qu'on aille ?”, s'indigne un homme d'un certain âge qui ne comprend pas pourquoi les autorités “s'acharnent sur de pauvres sinistrés” alors qu'elles sont tout à fait “au courant des souffrances et des malheurs que nous endurons”, s'écrit-il. M. B.