“La réalité de la presse indépendante en Algérie”, a été le thème d'une rencontre-débat, organisée avant-hier soir à la libraire Algérie News. Modérée par le journaliste Nourredine Azouz, et animée par des éditeurs de presse, notamment Omar Belhouchet, directeur du quotidien El-Watan, Ali Fodil, directeur de El-Chourouk, Outoudert Abrous, directeur de la publication de Liberté, Hadda Hazam, directrice du journal El-Fedjr, Nâama Abbas, la responsable du journal Horizons, et Abdou B., journaliste et ancien directeur de l'Entv. la rencontre a été entamée par un bilan de la situation de la presse aujourd'hui, après 19 ans d'existence et de pratique du métier. Et tous les patrons de presse se sont accordé à dire que le journalisme passe par une période très difficile qui menace sa survie, en l'absence d'une politique sérieuse, d'une économie sérieuse et d'un discours social cohérent. Invité à s'exprimer, Abdou B. a déclaré qu‘“il n'y a jamais eu de corporation aussi désunie et désorganisée. De plus, il est inconcevable qu'il y ait deux fois plus de quotidiens que dans les pays qui ont inventé la presse. D'ailleurs, le pouvoir a tout intérêt à ce qu'il y ait 112 quotidiens. La presse souffre également du monopole de la pub : qui donne la pub dirige la ligne éditoriale ou exerce des pressions”. Abdou B. évoquera également l'ouverture du champ audiovisuel qui est plus qu'indispensable dans le contexte actuel. Pour Omar Belhouchet, “l'expression dans notre pays a globalement reculé, parce qu'il y a bien évidemment la censure et l'autocensure, mais il y a aussi trois autres facteurs : un arsenal juridique extrêmement oppressif, des questions occultées — économiques et commerciales — infernales et très peu de journaux arrivent à vivre ainsi que le maintien du monopole de l'Etat sur l'audiovisuel”. Avant d'ajouter : “Les éditeurs sont complètement éclatés, et il est rare de voir une profession aussi divisée. À présent, nous avons 76 quotidiens nationaux, mais la qualité de l'écriture n'y est pas, encore moins la recherche de la vérité.” Le tableau est donc très noir pour le responsable du quotidien El-Watan. De son côté, Ali Fodil, le responsable du journal le plus édité en Algérie, à partir de cette semaine, à 800 000 exemplaires, a été moins tranchant que M. Belhouchet, en considérant que “la presse reflète l'inertie politique, car il n'y a pas d'activité politique importante. Et c'est pour cela que beaucoup de journaux vont vers le sensationnel, créant ainsi de faux débats”. Ali Fodil a également déploré la division qui existe entre les éditeurs de presse, ce qui a facilité leur fragilisation. Ce même avis a été partagé par Hadda Hazam qui a appelé à la création d'un conseil de l'éthique. Bien qu'elle partage l'avis du responsable d'El- Chourouk, elle a par ailleurs déclaré : “J'ai honte d'appartenir à la famille de la presse arabophone en raison de la ligne éditoriale de certains journaux qui font dans le sensationnel.” Pour sa part, Outoudert Abrous a été moins pessimiste et plus pragmatique lors de sa prise de parole en déclarant : “En Algérie, il n'y a pas de presse indépendante, il y a une presse privée. D'ailleurs, la presse est passée par deux phases : l'aventure intellectuelle des débuts et le fait que les journaux soient nés avec le terrorisme. Après le terrorisme, on a réalisé qu'on ne savait pas écrire sur autre chose.” M. Abrous a évoqué un autre problème qui conforte la presse dans la précarité : les éditeurs de presse n'arrivent pas à assimiler la nuance entre la gestion du contenu et la gestion d'une entreprise de presse. “On gère le contenu, pas l'entreprise”, affirme-t-il, en ajoutant : “Il faut mettre en place des instruments d'autorégulation et réinstaller le conseil de l'information qui n'a existé que deux ans.” Excédée, la directrice du journal Horizons a déploré le fait que l'apport des journalistes de la presse publique soit négligé lors de cette rencontre. Et c'est Abdou B. qui répondra à Mme Abbas en expliquant : “Dans un pays qui se dit pluraliste, je ne peux pas admettre qu'il y ait une presse publique. Ce n'est pas la qualité du journaliste dans le secteur public qui est mise en cause, c'est la ligne éditoriale qui interdit au journaliste de prendre part au débat.” Place ensuite au débat qui a surtout concerné la ligne éditoriale de certains journaux, qui font dans le sensationnel. Le débat a été très animé et rehaussé par les interventions de Saâd Bouoqba, chroniqueur à El-Khabar ou encore le sociologue Nasser Djabi, qui a posé une question existentielle et déterminante pour l'avenir de la presse : “Quelles sont les valeurs que défend la presse arabophone ?” La question demeure en suspens, car l'échelle des valeurs est totalement renversée. La pensée fragmentée, le passé gommé et les mémoires effacées. Pourquoi le sensationnel marche et cartonne de nos jours ? Peut-être parce que c'est la seule presse qui s'intéresse — de manière assez maladroite — aux gens et à ce qui se passe vraiment dans la société.