La voix toujours mélodieuse, en dépit des soixante-seize balais enregistrés au compteur, Akli Yahiatène, l'un des “derniers mohicans” de la musique algérienne, a, l'espace de deux heures, replongé nombre de ses admirateurs, présents en force, mercredi soir à la salle El Mouggar à Alger, dans l'époque faste de la chanson de l'exil et de l'exaltation de la terre, “thamourt” en kabyle, ce vocable aux relents patriotiques. Taquin de la muse devant l'éternel, à la truculence avérée, selon les témoignages même d'une de ses connaissances, l'auteur de la célèbre chanson Yalmenfi, une reprise semble-t-il d'une complainte chantée jadis par les déportés de nouvelle Calédonie, à la deuxième moitié du dix-neuvième siècle, a interprété ses meilleurs produits, au bonheur de tous les nostalgiques, que ni les rides du poids des ans ni l'usure du temps n'ont altéré. Et rien de plus emblématique que cette image, pleine d'émotion, d'un ex-émigré qui ne s'est pas empêché de monter sur scène pour l'embrasser, contenant difficilement quelques larmes. “Tu te rappelles de Vincennes ?” lui demande-t-il, sous les ovations d'un public acquis. Charmé. Accompagné de l'Orchestre symphonique national dirigé par le maestro Rachid Saouli, Akli Yahiatène a, peu avant d'entamer son récital, donné, comme seul peuvent le faire des artistes au parcours long d'un demi-siècle, une belle leçon de tolérance : “Saha ftourkoum pour ceux qui jeûnent et pour ceux qui ne le font pas.” Comme pour ne pas prêter le flanc aux gardiens des consciences, confits à la bigoterie, il interprète Saliw farsoul Mohammed (priez pour le Prophète). Puis, inévitablement, les chansons qui ont fait sa notoriété, comme Thamourtiou idourar, Ammi El Hocine, Michelet, un hommage à la femme kabyle, A Yakham dachou kyoughéne, Djahagh bezzaf damezyan, une chanson sur l'exil, Inas imlayoun taous ou encore l'inerrarable et l'inusable Yalmenfi. Qu'importe si la salle s'est avérée exiguë ou que la sonorisation a un peu fait des siennes au début du récital : l'invité régulier du palais des Sports et de la salle de la Mutualité à Paris est resté égal à lui-même. Un vrai régal pour les puristes.