Depuis l'écrivain Mohamed Ould Cheikh, dans les années trente, jusqu'à Salim Bachi, passant par Dib, Kateb Yacine, Malek Haddad, Feraoun, Mammeri, Leïla Merouane, Maïssa Bey, Nouredine Saâdi… (dans le roman algérien de langue française). Depuis Abdelhamid Benhaddouga et Tahar Ouattar, jusqu'à Bachir Mefti, passant par Merzak Baktach, Djilali Khallas, Ibrahim Saâdi, Ahlem Mostaghanmi… (dans le roman algérien de langue arabe). Depuis sa naissance jusqu'à nos jours, le roman algérien de langue française, comme celui de langue arabe, est frappé comme par une “cécité intellectuelle”, dont le texte nous semble aveugle ! nous paraît sourd-muet ! Les romanciers algériens, ceux de langue arabe comme ceux de langue française, ne connaissent pas les noms des arbres ni ceux des oiseaux. Ils ignorent les noms des fleurs et n'arrivent pas à faire la différence entre les parfums, les lumières et les couleurs. Et parce qu'ils sous-estiment ces détails qui constituent l'essence et l'encens de toute écriture moderne et originale, le lecteur se trouve devant une sorte de malaise textuel dont le roman apparaît titubant “sans œil”, “sans nez” et “sans oreille” !! Cette méconnaissance linguistique et visuelle, chez nos nouveaux romanciers, est ancrée en eux depuis les années des bancs d'école. L'école algérienne, elle aussi, est aveugle ! Un bref regard sur la poésie arabe classique nous laisse apercevoir les traditions d'une grande culture de la “visualité” et du “détail”. Ceci est bien exprimé aussi dans la poésie populaire. Les intellectuels arabes ont inventé plus de cent mots pour désigner le désert, plus de cent noms pour dire le chameau, plus de cent termes pour indiquer le palmier, une centaine pour indiquer la pluie, des milliers pour montrer l'amante, des centaines pour glorifier le vin… Cette richesse linguistique illustre une forte présence de “l'œil-regard” de “l'oreille- écoute”, “le nez-odorat” dans le rapport “langue-le texte”. Et parce que le roman algérien, en général, souffre de l'absence des particularités algériennes, les traducteurs ne s'intéressent pas à notre littérature. J'ai essayé de trouver les noms des oiseaux vivant sur le sol et dans le ciel de notre pays, en vain ! J'ai essayé de trouver les noms de nos “dattiers et palmiers” vivant dans notre grand désert, l'un des grands au monde, en vain ! J'ai cherché les noms des plantes, des arbres, des fleurs qui sont algériens, en vain !Depuis Mohamed Ould Cheikh jusqu'à Salim Bachi, depuis Benhaddouga jusqu'à Bachir Mefti, les romanciers algériens, dans les deux langues, écrivent sans “œil”, “sans regard !” Ainsi nos villes sont absentes dans les textes. Aucun romancier n'a pu écrire Alger, Oran ou Tipasa comme l'a bien fait Albert Camus, il y a plus d'un demi-siècle. Aucun romancier algérien n'a pu écrire sa ville comme l'a admirablement fait Mohammed Choukri avec Tanger ou Mohamed Zefzef avec Casablanca. Le roman algérien souffre d'un manque d'identité géographique. Il décrit la cité dans sa généralité aveugle, sans spécificités architecturales. Ainsi on se trouve dans des rues unifiées et standardisées, nos balcons et nos fenêtres avec leurs volets sans formes et sans couleurs. Nos couleurs sont obscures, dans le roman, chaudes dans la vie ! Les magnifiques ruelles pavées et les impasses arquées ne sont que décor sans âme et sans aimants. Même si une telle cité, décrite dans un roman, porte le nom d'une de nos villes, elle demeura floue, vague et sans parfum local. Ce malaise culturel et esthétique donne une littérature faible et généraliste qui n'a ni la chance ni la force pour percer loin dans l'universalité. L'universel commence dès la première marche du seuil de chez-soi. A. Z. [email protected]