Quatre ans après son entrée en vigueur, la Charte pour la paix et la réconciliation nationale aura coûté la bagatelle de 20 milliards de dinars. C'est le ministre Djamel Ould-Abbès qui l'affirme. Les comptes ne sont pas encore clôturés et tout porte à croire que l'ardoise sera plus salée. Au-delà du fait que la paix n'a pas de prix, si tant est le but final de la réconciliation nationale, il y a cependant lieu de se demander jusqu'où ira cette réconciliation ? Quelles sont ses limites dans le temps ? Combien l'Etat doit-il encore débourser ? Si pour Me Farouk Ksentini, la réconciliation nationale a atteint 90% de ses objectifs, l'on est en droit d'imaginer que la fin du processus serait toute proche, puisqu'il ne reste que 10% des cas à traiter. Or, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, ces affirmations interviennent en plein cœur d'une campagne en faveur de l'amnistie générale que le président Bouteflika voudrait comme couronnement du processus entamé depuis 1999 avec la concorde civile. Si la réconciliation nationale parvient à résoudre la majorité des problèmes, pourquoi aller alors vers une amnistie générale ? Si les avantages accordés aux terroristes repentis dans les différentes étapes du processus enclenché en 1999 n'ont pas permis de mettre fin définitivement au terrorisme, qui pourrait affirmer que l'amnistie générale serait capable de le faire ? Il y a comme une maldonne que le législateur algérien n'arrive pas à contourner : le processus, dès son départ, a été amputé de son volet essentiel, qui est le travail de la justice et la recherche de la vérité. Pourtant, inscrits dans la concorde civile, sous forme de commissions de probation, et pourtant énoncés dans la Charte pour la paix et la réconciliation nationale, tout le monde aura remarqué que les terroristes repentis n'ont jamais été entendus au sujet de leurs actes, que celui qui a tué une ou plusieurs personnes, que le poseur de bombes ou l'égorgeur n'ont jamais été désignés en tant que tel dès leur “repentance”. Tous ceux qui ont bénéficié de la “magnanimité” de l'Etat, de l'“émir”, au simple membre de réseau de soutien, sont égaux devant la loi et devraient bénéficier d'une amnistie générale, encore plus large, si le projet venait à être mené jusqu'au bout. Laquelle amnistie voudrait tout simplement dire qu'un ancien terroriste ne pourrait plus être désigné en tant que tel et qu'il pourrait devenir maire, député, ministre ou chef de parti politique. Pourtant, le président Bouteflika était tenté, au départ, de s'inspirer du modèle sud-africain qui a mis fin à la douloureuse période de l'apartheid. La commission justice et vérité instaurée par Nelson Mandela avait pour mission de confronter les victimes avec leurs bourreaux, dans des tribunaux populaires qui avaient valeur de pédagogie sociale, afin de tourner définitivement la page. Mais le président Bouteflika a choisi la voie la plus facile et la plus coûteuse, qui consiste à pardonner à tous les terroristes qui le voudraient, et à faire supporter, par le Trésor public, les coûts de cette opération. Quitte à ce que la justice, la vérité n'en prennent un sérieux coup, laissant planer un pesant sentiment d'impunité, accentué par l'attitude arrogante des anciens “émirs” terroristes qui affirment, à chaque occasion, qu'ils n'ont pas à demander pardon pour leurs actes. Même si la réconciliation nationale à l'algérienne a fait des émules, notamment chez les Américains qui l'ont employée en Irak, il reste que cette façon de traiter le phénomène du terrorisme n'est pas sans risques pour l'avenir. L'Etat doit se décider, un jour ou l'autre, quant à la durée de validité de la réconciliation nationale. En se lançant dans le processus d'indemnisation des victimes de “la tragédie nationale”, l'Etat a ouvert des pistes sinueuses qui devraient déboucher quelque part, au risque de compliquer davantage la tâche de l'Etat dans l'avenir. Si, pour le moment, les familles des disparus, celles des terroristes abattus, les travailleurs licenciés, ont été pris en charge, si les familles des victimes du terrorisme ont été également prises en charge, il reste encore des catégories qui devraient en bénéficier, comme ce fut le cas tout récemment avec les éléments de l'ANP blessés dans le cadre de la lutte antiterroriste. Du beau monde en perspective. L'Etat coupera-t-il les vannes un jour ? ou finira-t-il par considérer ces nouveaux “ayants droit” comme les anciens moudjahidine, les veuves et les enfants de chouhada ? La comparaison ne devrait pas se faire, certes, mais en termes de prise en charge, il y a lieu de se poser la question. D'autant plus que tout le processus engagé par le président Bouteflika pourrait être remis en cause, si demain le futur locataire du palais d'El-Mouradia jugeait l'opération trop coûteuse ou si les derniers soubresauts du terrorisme continuaient à faire parler d'eux.