Bouda Etemad aborde dans son essai Crimes et réparations : l'Occident face à son passé colonial, publié par Média-Plus, la question des crimes coloniaux et celle des compensations que réclament les descendants des victimes. Ce professeur aux universités de Genève et de Lausanne, où il enseigne l'histoire des relations Nord-Sud, remonte jusqu'au XVIe siècle pour retrouver, dans les anciennes colonies, les racines des notions de crime et de réparation. Dans les huit chapitres qui composent ce livre, il s'interroge, entre autres, sur la portée, les coûts et les bénéfices de l'expansion outre-mer en Europe, et il propose une autre lecture de l'histoire de la traite, de l'esclavage, épisode à découvrir ou à redécouvrir ici sous un angle nouveau. Il replace ces crimes dans leur contexte et souligne que ce qu'on considère comme des crimes aujourd'hui ne l'étaient pas nécessairement hier. Ces pratiques étaient considérées comme normales et aucun texte ne les interdisait. Mais s'ils restent une minorité, toujours est-il que certains ont dénoncé ces agissements, même si l'on ne se posait pas encore la question de la réparation, interrogation qui viendra avec les premières abolitions au XVIIIe siècle. Les abolitionnistes réfléchiront aux indemnités et aux dédommagements à verser aux victimes. Au XIXe siècle, Thomas Fowell Buxton, un anti-esclavagiste anglais, est le premier à dire à l'Europe négrière qu'elle doit dédommager l'Afrique. L'auteur y voit la naissance de l'aide au développement. Le professeur propose une intéressante évaluation des coûts humains de la traite, on découvre des chiffres qui précisent un peu plus les horreurs de cette page de l'histoire. Il faudra attendre mai 2001 pour qu'une loi française et la déclaration finale de Durban reconnaissent la nécessité d'honorer la mémoire des victimes et fassent de la traite négrière l'objet d'une réparation symbolique. Mais qui demande réparation aujourd'hui ? L'auteur entreprend dans une géographie des réparations une liste qui laisse apparaître, sans grande surprise, que les demandes sont formulées par des régions touchées par l'esclavage et la traite : Caraïbes, Etats-Unis et Afrique subsaharienne. Il établit la portée et les limites des demandes actuelles de réparation, censées redresser les injustices héritées du passé colonial. Car autre les épisodes plus ou moins connus de la traite négrière et l'esclavage, l'auteur aborde dans trois chapitres intéressants les préjudices subis par les peuples autochtones d'Amérique et du Pacifique qui ont souffert de dépeuplement et de spoliation foncière. Bouda Etemad met en garde contre “le risque d'enfermement dans la douleur permanente”. Et si le professeur analyse ces réclamations comme une manière de lutter contre l'élargissement des disparités et affirme la nécessité du devoir de mémoire, il insiste sur une prise de distance du passé pour que celui-ci n'entrave pas la construction de l'avenir des descendants des victimes de crimes coloniaux. FELLA ADIMI Crimes et réparations : l'Occident face à son passé colonial, essai, 208 pages, éditions Média Plus, Constantine 2009, 650 DA.