Qu'est-ce qu'être français ? C'est "trouver ce débat sur l'identité nationale ridicule et honteux ! " affirme un internaute sur le site officiel ouvert par le ministère d'Eric Besson pour permettre au plus grand nombre de s'exprimer. Ce que l'internaute en question ne sait peut-être pas, c'est qu'il a de la chance de voir son appréciation mise en ligne, après avoir échappé à la vigilance d'une modération particulièrement pointilleuse à l'égard des "post" hostiles à ce débat, mais qui laisse passer des propos xénophobes, voire carrément racistes. Ainsi, pour un débatteur publié sur le forum officiel, être français, "c'est d'abord le respect de l'histoire de France, de nos Rois, de ne pas chasser Charles Martel de nos livres d'histoire, de ne pas avoir honte des Croisades (et) de ne pas renier l'ère de la colonisation". Un autre, pour mieux exclure les citoyens de confession juive ou musulmane, considère qu'un bon Français doit "boire du vin et manger du porc dans la pure tradition (des) pères fondateurs". Un autre enfin, dans un clin d'œil à Sarkozy lui-même, estime qu'on ne peut être français que si on est "né sur le sol français, de parents français depuis 5 générations". Incontestablement, le débat dérape ! Le ministre de l'Immigration et de l'Identité nationale l'a lui-même reconnu en affirmant que six ou sept pour cent des commentaires réceptionnés sur le site sont censurés pour leur caractère xénophobe. Sans doute pense-t-il que les quelques exemples rapportés ici, non censurés, sont acceptables. Il a peut-être raison de relativiser la gravité du constat, dès lors qu'il s'agit de propos émanant de quidams camouflés derrière l'anonymat d'un pseudonyme. Mais il se trouve que des personnalités officielles ont également tenu de tels propos, à l'instar de ce maire UMP qui a publiquement fustigé "dix millions" d'individus, allusion faite aux immigrés, pris en charge "à ne rien faire", propos dénoncés par certains cadres de son parti, mais défendus et justifiés par le porte-parole Frédéric Lefebvre. Le débat était mal engagé dès le départ, et le questionnaire conçu par Eric Besson, adressé aux préfets et censé canaliser et encadrer le débat, comporte en lui-même les germes du dérapage. Que dire de cette question qui invite les Français à se prononcer sur "le rôle de la Nation" et s'il consiste à "exprimer la souveraineté sur un territoire et sur un peuple" ? La bonne question, qui mériterait d'être posée au ministre, consisterait à savoir si, en république et en démocratie, la souveraineté est exercée par le peuple ou si elle s'exerce sur lui. Autre interrogation soumise aux Français et qui représente un chef d'œuvre d'amalgame entre immigration et mise en danger supposée de l'identité nationale : "Comment éviter l'arrivée sur notre territoire d'étrangers (…) aux conditions de vie précaires génératrices de désordres divers (…) ?” Depuis la votation suisse interdisant la construction de minarets sur le territoire helvétique, le débat prend une autre tournure et déborde carrément de son cadre originel, déjà sujet à caution. Il est de plus en plus question de minarets et de clochers, de mosquées et d'églises, d'islam et de chrétienté, et de moins en moins des valeurs et des principes qui fondent la République française et de son identité. La condamnation unanime du vote suisse par la communauté internationale a fait prendre conscience aux dirigeants français du danger auquel les expose ce débat, conçu et orienté de manière à contribuer à la victoire de l'UMP aux prochaines élections régionales. En dérapant comme il le fait, il pourrait conduire au résultat inverse et constituer une bouffée d'air frais pour l'extrême droite qui n'en demandait pas tant. Aussi, le président Sarkozy a-t-il pris ses distances, préférant envoyer François Fillon en mission commandée, pour tenter d'apaiser les esprits et recadrer un débat dangereux, qui a mis à nu l'hypocrisie ambiante. Mais quoi que puisse dire ou faire le Premier ministre, les relents nauséabonds du racisme sont bien là et le malaise est réel, y compris dans les rangs du parti au pouvoir. On ne "pique" pas impunément "les idées du Front national". N'est-ce pas, Monsieur Besson ?