Grand favori après un bras de fer violent avec son opposition de droite, les libéraux et les petits blancs, le Premier président indien dans le pays en 184 ans d'indépendance, Evo Morales, est passé comme une lettre à la poste à la présidentielle de dimanche. Pour gagner son deuxième mandat, il avait dû revoir la Constitution. L'appétit vient en mangeant, pour ne pas faillir à une démarche qui semble s'installer dans les pays du Sud, le président bolivien évoque déjà un troisième mandat au-delà de 2015, alors qu'il n'a pas encore savouré sa seconde victoire ! 60% des Boliviens, exclusivement des Indiens et Amérindiens, ont donné leur voix à l'ancien chef des cocaïceros, ces dizaines de milliers de paysans pauvres, indiens, obligés de cultiver la cocaïne pour ne pas crever de faim. Plus est encore, ils ont donné à leur président fétiche la majorité au Parlement, dans ses deux chambres. Morales a désormais les mains entièrement libres pour instaurer son socialisme, pour mettre au pas les provinces rebelles qui s'y opposent, qui sont développées et dirigées par l'establishment blanc, les enfants de colons européens et des vagues d'immigrés de la Seconde Guerre mondiale. L'ancien syndicaliste et cultivateur de coca, élu président en 2005, se défend d'être accroché au pouvoir lorsqu'il a parlé de troisième mandat en indiquant depuis son bastion politique, Chapare, la région de la coca, que la nouvelle Constitution de janvier 2009, celle qu'il a lui-même confectionnée, prévoit la possibilité de deux seuls mandats consécutifs. Jusqu'ici, Morales n'avait jamais évoqué ouvertement une intention de gouverner au-delà de deux mandats. Au contraire, en octobre 2008, pour faciliter un accord avec l'opposition sur le texte de la Constitution, le président avait renoncé à un éventuel deuxième mandat constitutionnel, soit un troisième mandat en comptant celui de 2004-2009. Ce geste avait rendu possible un compromis sur la nouvelle Loi fondamentale, axe du projet politique de Morales, qui accord une place centrale à l'Etat, aux droits des Indiens, à la décentralisation. Elle a été adoptée en janvier dernier par référendum avec 62% des voix. L'opposition, qui avait la hantise de l'hégémonie de Morales et de son parti, est en plein dedans, elle qui n'a eu de cesse de mettre en garde contre ses dérives totalitaires, en particulier sa volonté de se pérenniser au pouvoir, dans la lignée du président vénézuélien Hugo Chavez, mentor idéologique de Morales. Il faut dire que le scrutin est intervenu sur fond d'un apaisement après deux années de tensions qui firent des dizaines de morts en 2007-08 en raison d'une fronde autonomiste de l'Est prospère du pays, fief de l'opposition conservatrice. Evo Morales, un quinquagénaire populaire et populiste, ne cache pas sa détermination de poursuivre sa refondation socialiste et pro-indigène du pays, servie par de vastes ressources gazières et minières, et des investisseurs étrangers "partenaires, pas propriétaires". Sa posture franchement antilibérale et ses alliances avec des pays comme le Venezuela ou l'Iran restent éminemment suspectes aux yeux des Etats-Unis, le puissant voisin du Nord, tout comme la progression du trafic de drogue en Bolivie, troisième producteur mondial de cocaïne. Mais la politique d'hermano Evo (frère Evo) a scellé sa légitimité chez la majorité indienne et pauvre (60%) du pays, l'un des plus pauvres d'Amérique latine. Pour son deuxième mandat, Morales avait promulgué une loi qui restitue à l'Etat la propriété des ressources en hydrocarbures, dernière étape d'un processus de nationalisation entrepris en début de l'année.