Skikda comptait environ un millier d'Egyptiens avant le match de football du 14 novembre au Caire. En ce samedi 12 décembre 2009, nous quittons tôt Annaba pour rallier Skikda. L'opération coup-de-poing qui a débuté, vendredi aux environs de 14h, se prolongera jusqu'à aujourd'hui minuit. Durant le court trajet, une heure de route, le commun des mortels remarquera d'emblée l'impressionnant dispositif de sécurité qui maille la périphérie de notre destination. Le décor est planté : des Escadrons de sécurité routière (ESR), des éléments de la Section de sécurité et d'intervention (SSI) et des unités territoriales, ajoutés aux hommes en vert du Groupement d'intervention et de réserve (GIR), sont là depuis déjà 18 heures à traquer les délinquants, les proxénètes, les prostituées, les voleurs, les trafiquants et les insoumis au noble devoir national. Le climat est à la carte postale, même si les quelques rayons de soleil viennent agresser les majestueuses montagnes qui surplombent la corniche et, derrière, la splendide Méditerranée. À peine arrivés, l'invitation est à assister aux descentes. Bienvenue au monde rural de l'ex-Philippeville où les criminels inquiètent de moins en moins la tranquillité publique, où le trafic de drogue prend des proportions alarmantes et où les étrangers, issus de 29 nationalités, bénéficient d'une protection VIP. Il est à peine 10h du matin, après un bref bilan chiffré de l'année 2009 présenté par le commandant de groupement de la Gendarmerie nationale (GGN) de Skikda, le Lieutenant-colonel Mahfoudh Bousseka, nous quittons la ville de Skikda pour faire demi-tour sur le chemin de Annaba. Deux hélicoptères, dépêchés à partir de l'escadrille aérienne de Annaba, sont mobilisés pour ratisser large les lieux ciblés et assister les unités qui opèrent pédestrement et dans les points de contrôle. Pour une première, 1200 gendarmes sont enrégimentés pour intervenir en profondeur et dans les barrages dans une opération aussi musclée à laquelle nous assistons. Direction Aïn Cherchar. L'heure est aux saisies et aux arrestations. Pas moins de 184 cartons contenant 45 680 sachets de tabac à priser, soit près de 14 tonnes de marchandises sont récupérés sur un transporteur qui achemine cette impresionnante quantité de tabac sans facture. Au même moment, les gendarmes arrêtent, pour une vérification de routine, deux individus à bord d'un véhicule de tourisme, de marque Mercedes immatriculé à Alger. Les papiers de la voiture ne correspondent guère au numéro de châssis. De deux choses l'une : ou les papiers sont falsifiés, ou le numéro du châssis est maquillé. Les gendarmes sont formels, il y a anguille sous roche et seule l'enquête de la Section de recherches d'Alger confirmera ou infirmera la véracité des dires des deux occupants et l'authenticité des documents. Un autre individu est également incriminé, dans la région de Collo, pour vol de 192 plants d'eucalyptus. Ici, le trafic de bois et de liège fait fureur surtout que l'écosystème de ce poumon de l'Est du pays est hautement protégé. Cela sans compter la sécurisation des deux principaux pipelines de gaz et de pétrole en provenance de In Amenas en direction de l'Europe, de la plus grande zone industrielle du pays, de 23 ateliers de travail, sur les 46 que compte la wilaya, et du nouveau tronçon routier de 72 km de l'autoroute Est-Ouest. Perquisitions et Rafles dans le milieu de la prostitution et du proxénétisme Dix-huit heures de traque et de lutte sans merci contre les poches de la criminalité et de la délinquance, le lieutenant-colonel Mahfoudh Bousseka nous fera le point de situation jusqu'à midi. Sur 2 026 personnes et 661 véhicules identifiés, les gendarmes enregistrent 13 arrestations, dont 6 individus recherchés en vertu de mandats de justice et 7 autres pour prostitution et proxénétisme. Ces derniers sont interpellés en flagrant délit, par les élites des SSI, sur la côte de Filfila, réputée pour être un lieu de prédilection de la dépravation. Leur acolyte, un clandestin, sera lui aussi appréhendé dans un barrage de contrôle à bord d'un véhicule de marque Renault Clio. Midi tapante, nous quittons Aïn Cherchar, destination les points de contrôle routier. Sept jeunes personnes sont embarquées. Le lieutenant-colonel Mahfoudh Bousseka engagera tout de go la discussion sur le motif de leur arrestation. “Tous les mis en cause sont recherchés pour insoumission au service national”, lui dira-t-on. Scindés en deux groupes de 3 et de 4, ces insoumis feront l'objet d'un PV avant d'être remis aux autorités compétentes pour régularisation de situation. À la prochaine halte, nous croisons une escorte de deux véhicules de gendarmerie qui achemine les 4 hommes et les 3 femmes appréhendés dans les maisons closes et clandestines de Filfila. “Toutes les localités sont occupées par nos éléments. Nous avons même deux perquisitions de domicile qui sont en cours. Parallèlement, nous effectuons un travail de prévention de la sécurité routière et de répression contre les réfractaires au code de la route. Nous sommes aussi assistés par 200 hommes dépêchés à partir de Mdjez Edchiche et les élites des SSI. Grâce au travail de proximité et aux descentes des SSI, nous n'avons enregistré, l'été dernier, aucune plainte d'agression sur notre corniche. Et nous avons été félicités pour cela. C'est vous dire qu'il y a une sensible régression de la criminalité et ce, même si certaines formes de crimes et de délits prennent des proportions alarmantes”, nous expliquera encore le lieutenant-colonel Mahfoudh Bousseka. Voilà pourquoi les Egyptiens rentrent chez eux ! La décision de lâcher, voire de craquer devant leur incivisme, émane d'une décision officielle de l'Etat égyptien qui a instruit sa chancellerie à Alger de proposer aux travailleurs de rester en Algérie ou de rentrer au Caire. Pourtant, les étrangers vivant dans cette région, à vocation industrielle et commerciale, sont hautement protégés. À l'instar de tous les étrangers, issus de 29 nationalités, qui bénéficient d'une protection VIP surtout que les reliefs de Skikda — 140 km de côte et 43% de la superficie à vocation rurale — sont hautement sécurisés par la Gendarmerie nationale. Esprit de civisme et d'hospitalité obligent, ces Egyptiens ne sont jamais inquiétés, eux qui étaient un millier de personnes, avant que le match de football du 14 novembre au Caire ensuite celui du 18 novembre de Khartoum, les poussent à “se réduire” à quelque 300 à rester à Skikda. Du coup, ils se retrouvent à quelque 700 à avoir quitté cette région préférant l'infamie de leur “Oum Eddounia”. Cette attitude bizarre ne trouve point d'explication sinon que l'Etat égyptien, sans aucun doute, n'assume pas ses responsabilités, d'une part, et intoxique une rue cairote au bord de l'explosion, d'autre part, se retrouvant à la rue, après avoir été piégés par une décision politicienne et un discours dithyrambique et faisant l'apologie du crime. Une situation comme du déjà-vu dans d'autres régions du pays où les Egyptiens cherchent un stratagème pour quitter l'Algérie afin de mieux se faire entendre. Mais la caravane passe au… Mondial de 2010. Cela va sans dire qu'au chapitre de l'immigration, Skikda connaît, depuis 2008, une baisse vertigineuse du phénomène des harragas et de l'immigration clandestine, voire une éradication totale. En effet, seuls cinq cas, tous des Marocains, ont été interceptés, en deux ans, par la Gendarmerie nationale. Pourtant, cette grande région se prolonge sur 140 km de littoral, avec 25 plages autorisées à la baignade et relevant de la couverture sécuritaire du GGN, mais aussi des plages sauvages et non surveillées, en sus d'un des plus grands ports d'Algérie. Le trafic de drogue “décore” la carte du crime organisé Il faut relever que la carte du crime organisé de la région est plus complexe que cela peut paraître. De Collo à Azzaba, en passant par Aïn Cherchar et la banlieue où pullulent les maisons closes et clandestines, mais surtout les poches de la criminalité et de la délinquance, le GGN relève une hausse sensible du trafic de drogue. Entre commercialisation et consommation, le lieutenant-colonel Mahfoudh Bousseka révèle que de 16 kg de résine de cannabis saisis en 2008, on est passé au double en 2009, en sus de 300 comprimés de psychotropes, contre seulement 31 en 2008. En ce sens, notre interlocuteur affirme que pas moins de 74 affaires, ayant abouti à 105 mandats de dépôt, ont été traitées depuis janvier dernier. Ces affaires figurent parmi les 73 330 PV, issus de 42 771 plaintes de citoyens et de 30 559 opérations des gendarmes, et qui aboutissent en 11 mois à l'arrestation de 1 165 personnes, dont 29 femmes et de 445 mandats de dépôt, dans 862 crimes et délits. Toutefois, le lieutenant-colonel Mahfoudh Bousseka, relève les agressions contre les personnes (523 cas), suivies du crime financier (143) d'attentat à la pudeur (48 cas) et autres dont 6 cas pour attroupement et atteinte à l'ordre public. “Depuis août 2008, date de mon installation, j'ai privilégié l'esprit d'initiative. L'ordre est donné d'écouter le citoyen, certes, mais surtout d'aller sur le terrain tant dans le cadre préventif et dissuasif que dans le cadre répressif. Car, la criminalité change de visage, ce qui suggère plus de présence et d'opérations. Chaque week-end, nous effectuons des descentes ciblées dans les quartiers, les cités et autres localités. Cette opération a cette particularité de cibler davantage de points noirs et de mobiliser plus d'hommes”, nous dira le patron du GGN qui nous présente un bilan exhaustif de l'année 2009. Mais Skikda, c'est aussi l'hécatombe sur ses routes avec 587 sinistres constatés ayant fait 90 morts et 1 247 blessés. Cette descente, qui intervient au lendemain de l'incendie d'un commerce à La Marsa et l'arrestation des mis en cause impliqués dans cette affaire émaillée de manipulations tous azimuts, aura le mérite de démontrer, une fois de plus, que le crime se régénère malgré les remèdes. Les narcotrafiquants se cachent derrière les escortes d'officiels Dimanche matin, le bilan final de l'opération tombe. Le lieutenant-colonel Mahfoudh Bousseka aborde la moisson de ses hommes avec l'arrestation de 11 insoumis, d'une autre personne pour émission d'un chèque sans provision d'une somme de 500 millions de centimes et d'un individu qui menaçait de mort ses victimes, en sus des personnes arrêtées lors de la première journée de l'opération. La descente aboutit également à l'identification de 2 817 personnes et de 1 112 véhicules ayant abouti à l'arrestation de 13 individus activement recherchés, de 1 819 amendes forfaitaires, 73 retraits de permis de conduire, mais aussi la fermeture de 18 ateliers de tôlerie dont les propriétaires exercent sans registre de commerce, la saisie de 512 accessoires de téléphones portables. Artificiers, brigades cynotechniques, alcootests, radars, cellule scientifique et technique, détecteurs d'explosifs et de stupéfiants… pour ne citer que ces moyens, le GGN de Skikda aura donné un coup de pied dans la fourmilière l'espace d'une opération de deux jours sans répit dans les noyaux durs du crime organisé, où, notamment une centaine de mineurs subissent au quotidien le diktat des malfaiteurs. Le lieutenant-colonel Mahfoudh Bousseka révèle, par ailleurs, que l'ordre est donné de contrôler tout véhicule circulant derrière les escortes des officiels. “C'est un stratagème auquel recourent de plus en plus les narcotrafiquants, mais aussi les voleurs de véhicules pour se faire passer pour un des membres des délégations”, dira-t-il comme pour mettre l'accent sur les nouvelles techniques d'acheminement de la drogue par voie terrestre. Fin de la descente des gendarmes. Météo : sale temps pour les gangs.