Capitale économique, joyau touristique de par ses merveilleuses et indescriptibles corniches, mais aussi carrefour des chefs de gang qui s'investissent dans le crime sous toutes ses formes, Annaba, que nous visitons en ce début du mois de décembre, ne déroge pas à la règle – son profil de grande ville le confirme – en subissant au quotidien les affres des délinquants et des criminels. À raison de 63 sorties/jour, les gendarmes ont opéré plus de 20 700 sorties en 11 mois, dont 34 opérations coup-de-poing. Un véritable coup dans la fourmilière qui déstabilise, au jour le jour, les noyaux durs de la criminalité où prolifèrent des individus aux intentions malveillantes et qui n'agressent plus au couteau, mais au sabre. C'est que la Coquette refuse de se plier devant le crime et de céder au chantage de ses agresseurs qui tentent, vainement, de salir sa carte postale et de diaboliser les âmes qui la hantent. Protégeant jalousement sa stature d'Elégante, Annaba reprend ses droits, tous ses droits, pour ouvrir grands ses bras à ses hôtes et leur offrir une image et une seule : celle du bon vieux temps. Mercredi 9 décembre 2009, 13h30 tapantes, nous quittons, après une brève halte, la prestigieuse Ecole de formation des sous-officiers de la Gendarmerie nationale de Sétif. Sur les axes routiers de Constantine, ensuite Annaba - où nous devons assister à une opération coup-de-poing - trois camions de gros tonnage et bourrés de marchandises sont renversés. L'un d'eux a franchi dangereusement les balustrades de sécurité avant de s'écraser contre du béton. L'erreur humaine, cause principale de ces trois sinistres, ne s'arrêtera pas là. Et contrairement à d'autres localités où les curieux créent des bouchons pour constater les dégâts, les automobilistes appuient sur le champignon et se limitent au seul constat : “T'as vu ça ? C'est grave !” Pire : les passagers se permettent même des dépassements dangereux, à l'image des seigneurs de la route qui transportent des vies humaines : les chauffeurs de taxi. Inutile de les contrarier : ils sont prêts à tuer et à mourir, mais pas à céder le passage ou à se faire doubler. La raison reprendra ses droits au fur et à mesure que nous approchons les points de contrôle érigés par la Gendarmerie nationale, mais aussi des “comités d'accueil” qui dressent inopinément des barrages pour signifier aux chauffards qu'ils sont bel et bien “flashés” par les radars. À quelques encablures de la circonscription de notre point de chute, les nuages se dissipent, pour laisser place au coucher du soleil, avant qu'ils ne se transforment majestueusement — “les saisons ne s'épousent-elles pas ?” — en gouttes passagères d'un ciel clément. Il est 18h45, nous arrivons, enfin, à Annaba, après huit heures de trajet. L'ambiance de la Coquette évacuera vite notre fatigue et nous plonge dans une atmosphère plus sereine. Pour ceux qui connaissent l'Elégante, il faudra bien se munir d'un maillot de bain ! Mais faudra-t-il aussi attendre l'été pour goûter au sable fin des augustes plages qui longent admirablement ses nobles corniches. Aux ronds-points, comme sur les façades des immeubles, les couleurs nationales sont arborées comme pour savourer et faire durer la victoire de nos Fennecs sur l'équipe égyptienne. La vie continue, mais pas pour les “Saroukh” Tous les commerces sont ouverts : cafétérias, restaurants, buralistes, fast-foods, gargotiers et autres stations de services. Un cachet qui nous fait vite oublier l'image d'Alger, où la majorité des magasins baisse rideaux avant 18 heures. À l'Escale, en escale, la vie continue à Bône jusqu'à une heure tardive de la soirée avec son lot de charmes gracieusement offert par Dame Nature qui l'enveloppe dans un écosystème des moins pollués et polluants. Et si les Bônois vaquent paisiblement à leurs occupations, à la périphérie, en revanche, les gendarmes annoncent un avant-goût de ce que sera la descente musclée dans les foyers du crime et de la délinquance. Les “hostilités” contre les énergumènes, qui pourrissent la vie des Annabis, débuteront tôt, dès que plusieurs points de contrôle et de surveillance sont installés sur la voie routière afin de préparer le terrain dans les localités ciblées. “Notre action se scinde en deux étapes : la première est de mettre au point des barrages. Cette opération a débuté mercredi et se poursuivra jusqu'à la fin de la descente. La seconde est de cibler, dès jeudi, de 14h à minuit, trois localités réputées pour être des noyaux durs de la délinquance, et une partie de la corniche de la wilaya où rôdent généralement les individus malintentionnés, comme ceux qui tentent la harga”, nous dira le commandant du groupement de la Gendarmerie nationale (GGN) de Annaba, le lieutenant-colonel Sahraroui Barour. Et pour réussir une activité aussi intense, le GGN déploie 550 hommes, entre éléments de l'Escadron de sécurité routière (ESR) et ceux de la Section de surveillance et d'intervention (SSI), mais également de toutes les unités territoriales, 5 équipes cynotechniques. Mieux, le lieutenant-colonel Sahraroui Barour fera appel à l'escadrille aérienne des hélicoptères, basée à Annaba, et relevant du 5e Commandement régional, afin de traquer les criminels fuyards et de superviser, de jour comme de nuit, cette opération. L'objectif étant de se débarrasser de l'étiquette “Annaba, 3e ville de la criminalité”. Il révélera que “la criminalité a sensiblement et perceptiblement baissé en 2009”. Et ce ne sont guère les bilans probants qui attestent de la manière avec laquelle les gendarmes jugulent exponentiellement la criminalité dans les fins-fonds aux multiples méandres de Bône. Pour l'anecdote, au moment où les Bônois célébraient la fête de l'Aïd El-Adha, les gendarmes ont démantelé 3 groupes constitués de plusieurs éléments. Inquiété dans son propre fief, l'un des gangs était mené par un mineur de 17 ans surnommé Saroukh. Un petit voyou qui “gérait” des individus âgés de 20 et… 30 ans ! Un autre chef de gang, né en 1982, surnommé Jijeli, actuellement en fuite, est activement recherché. Escroc, voleur notoire et très rusé, notre chef de gang a gagné la sympathie de tout son quartier où il “répartit” son butin, tout en gardant pour sa petite personne les “bénéfices” des ventes de produits subtilisés sur ses proies qu'il agresse à coup de sabre et de couteau de boucher. Oued Nil, le bidonville qui vomit l'Egypte Jeudi, 17h, nous quittons le GGN, direction El-Bouni. Première escale, haï Serouel. Le commandant de compagnie d'Annaba, Mohamed Khaled, nous annoncera tout de go le bilan provisoire : trois arrestations, saisie de kif traité, d'argent et d'armes blanches. Les mis en cause sont transférés à la brigade limitrophe. Le premier, fonctionnaire dans une APC, reconnaît ses torts : “Oui, je prends du kif, mais normal. Je l'ai acheté chez un dealer qui est à mes côtés. Si vous me présentez devant la justice, vous ruinerez ma vie et je perdrai mon emploi.” Son “associé” le regarde droit dans les yeux et nie les faits : “Je ne le connais même pas. Je vous jure que je ne vends jamais de kif, mais des fruits et légumes.” Deux autres personnes, dont un mineur de 16 ans, agresseurs de leur état, reconnaissent également avoir agi avec des sabres. Motus ! Ils seront placés en garde à vue en attendant l'instruction, mais aussi la convocation des parents du mineur. Le commandant de la compagnie de Berrahal, Ahmed Souafi, le meneur des SSI, le lieutenant Abdelkader Mhenger et le lieutenant Mounir Sifour, du Groupement d'intervention et de réserve (GIR) d'El-Hadjar, supervisent les opérations sur ces sentiers sinueux où règne la condition inhumaine, saupoudrée d'odeurs nauséabondes, l'insécurité et l'incertitude. Une Renault Clio viendra “couper” et changer de cap : la voiture est bourrée de bonbons. Un gendarme nous expliquera que la loi interdit le transport de marchandises à bord d'un véhicule de tourisme. Nous avançons vers Oued Nil. Bizarre comme nom de quartier, surtout que le Nil évoque la misère d'“Oum Eddounia”, avec en sus ses Nubiens qui peuplent le Saêd jusqu'aux frontières du Soudan ! Dans cette ambiance où la loi et le génie se confondent, le quartier de Oued Nil exige de changer de nom pour se faire appeler “18 Novembre 2009”, par rapport au match Algérie-Egypte qui s'est déroulé à Khartoum et qui a consacré la suprématie des Fennecs sur les acolytes de Abou Trika. Mais le quartier souffre d'un exode rural sans précédent. L'éternelle équation est toujours là : l'Etat recense, rase et reloge. Au départ des autorités, les récidivistes se “réinstallent”, érigent des bicoques et s'offrent un toit contre… rien. Idem à Hdjer Eddis où pullulent les poches de criminalité pour ainsi former les trois points noirs de la Coquette qui se débarrasse de ses chefs de gang. Et la spécificité du crime à Annaba est établie : plus de 47 % des affaires enregistrées par la Gendarmerie nationale relèvent de crimes et délits contre les personnes, plus de 31 % des cas constatés relèvent des atteintes aux biens et 15,59 % inhérents aux cas familiaux et atteinte aux mœurs. L'opération se poursuit et les gendarmes investissent les lieux-dits pour aboutir à la corniche et ratisser large le littoral de Bône. Rien à signaler ? Et pourtant : arrestation d'un consommateur de drogue à l'intérieur d'un cabaret, d'un jeune pour insoumission au service national et, enfin, d'un autre individu pour détention d'armes prohibées. Formation, prévention et obligation de résultat Les vérifications s'accentuent, notamment dans ces lieux, pour débusquer de jeunes mineures en milieu de prostitution et de proxénétisme et le trafic de stupéfiants. Le bilan final approuvera la thèse qui atteste la baisse de la criminalité : identification de 1 120 personnes et de 257 véhicules, arrestation de 9 individus recherchés par les services de sécurité et la justice, interpellation de 17 autres personnes, dont 3 pour port d'armes prohibées, 4 pour trafic de stupéfiants et de psychotropes, 1 pour vol de bois de forêt et 9 autres pour état d'ivresse ostentatoire sur la voie publique. Les gendarmes ont également saisi, au cours de cette opération, 3 armes blanches, de la drogue, de l'argent de la drogue et des psychotropes. Le lieutenant-colonel Sahraroui Barour est, en ce sens, formel : “Actuellement, nous dépassons le taux de 100 % de couverture sécuritaire. Ce qu'il faut savoir, en revanche, c'est le développement de la nature du crime et sa mutation dans la société.” Cela fera dire au colonel Abderrahmane Ayoub, directeur de la communication au commandement de la Gendarmerie nationale que “la lutte contre la criminalité est accompagnée d'un vaste et ambitieux programme de formation de la ressource humaine. Même s'il faut former le gendarme pendant deux ou quatre ans, on le fera. L'essentiel est d'être efficaces sur le terrain et la sécurité des citoyens et des biens n'a pas de prix”. ` L'opération achevée, nous quittons la Coquette sous une grisaille qui annonce une pluviométrie prometteuse. Avec un arrière-plan de chantiers et de projets de développement, Annaba, synonyme de bienvenue, se débarrasse de ses chefs de gang pour laisser place aux coquetteries des Annabis, jaloux de leur hospitalité.