Après avoir fait son épilogue dans les années 1990, avec notamment le déclin programmé du monde associatif qui avait su donner un contenu culturel à la revendication berbère, marquant un tournant décisif, s'attachant à la valorisation et à la promotion de la langue des ancêtres, le théâtre d'expression amazighe semble reprendre du souffle. Le constat a été fait dans la wilaya de Tizi Ouzou et aussi lors du Festival national du théâtre amazigh organisé récemment à Batna. Des troupes venues des quatre coins du pays avaient pu offrir des spectacles de haute facture par leur maîtrise, la qualité de leurs textes et de leur production. En kabyle, en chaoui, en targui, le festival n'avait pas seulement fait un pas de géant pour le théâtre algérien, mais également montré un acquis indéniable pour la langue en matière de production artistique. Certaines associations se sont lancées directement dans la formation de comédiens, comme celle d'Aghbalou, dans la daïra de Tigzirt, à Tizi Ouzou. Celle-ci s'est donné la mission de revaloriser le quatrième art afin de lui restituer sa valeur réelle dans la région : le théâtre, la langue qui fait rire, qui rend intelligent et qui ne fait pas grossir. Non seulement cela permet de créer de l'activité, mais aussi de former des jeunes à l'art des planches à travers des journées de formation, des ateliers de travaux pratiques et des communications en la matière. Aghbalou nous revient cette année avec la pièce les Semeurs de sel, d'Ali Abdoune, avec plus de 20 jeunes comédiens sur scène, qui ont su admirablement interpréter cette œuvre avec finesse et panache. On cite aussi l'association Numidia d'Oran. Une association qui active notamment dans le sens du développement et de l'originalité de cet art. Dans la pièce le Dernier ferme la porte, écrite et mise en scène par Djamel Benaouf, ce dernier nous plonge dans une sorte de monde parallèle où des morts quittent leur tombe à la recherche d'une liberté incertaine pour sauver leur âme. Ils vécurent 10 000 ans parmi les vivants, sans se soucier du temps qui passe, jusqu'au jour où ils se lassèrent de la vie. Cette fois-ci, le nouveau gardien des tombes leur refusa l'accès au cimetière. Une production riche, ramenant sur scène une réalité sociale et politique vigoureusement exprimée. L'ombre du poète Si Mohand u M'hand hantait ce spectacle, tant le texte était d'une force poétique et d'une rigueur à la mesure de la thématique. On retrouve également le Foehn, un texte de Mouloud Mammeri, mis en scène par Djamel Abdeli, du Théâtre régional de Béjaïa. L'histoire se passe durant la bataille d'Alger en 1957. Un jeune Algérien s'apprête à commettre un attentat. Ce dernier est déjoué. Le jeune Tarik est livré aux tortionnaires de l'armée coloniale. Ne cédant pas sous la torture, Il sera condamné à mort. Celle-ci obtiendra le prix de la meilleure mise en scène au Festival du théâtre d'expression amazighe de Batna. Fatma, la rêne des machines à laver, production du TNA. Fadhma s'insurge contre l'ordre de la médiocrité en revendiquant, à sa manière, une citoyenneté plus grande. Pour le metteur en scène M. Omar Fetmouche : “À travers ce personnage symbolique, nous voulons dire que les plus grands moments de ce pays sont aussi l'œuvre des femmes anonymes et exceptionnelles.” Fadhma revendique à sa manière sa part de poésie. Sur la terrasse où elle est allée sécher le linge, et face à l'immensité du ciel qui lui ouvre ses bras, elle donne libre cours à son cri de femme, à son cri poétique, alignant ses moments d'amour, de bonheur et de malheur… La troupe d'Iferhounène nous revient cette fois avec Loundja, une pièce théâtrale conçue à partir de contes kabyles dont l'auteur a su tirer le meilleur de la substance. Loundja est un récit destiné aux enfants de 7 à 77 ans. Se voulant universelle, elle pose une question cruciale : peut-on humaniser l'ogre qui dort en chacun de nous ? Faut-il humaniser l'homme pour tuer l'ogre qui est en lui ? Ainsi Loundja est cette lumière de la conscience qui manque à la force pour réaliser ce prodige. C'est à la fois un voyage et une quête où l'imaginaire rejoint le réel pour donner une dimension apparente au mythe. Joué par une bande de jeunes comédiens dont l'âge ne dépasse pas les 20 ans, ils ont donné un spectacle pour les enfants et un récit pour les adultes. Le Théâtre régional de Batna se présente avec la Rive des rêves, traitant du thème des harraga. D'une actualité brûlante, elle joint le tragique au comique, avec une mise en scène assez fine où la lumière se fait plus intense. La scène se déplace comme sur une barque, du vagissement de l'enfant auquel la mère donne la vie aux vagues imperturbables de la mer qui donne la mort. On cite aussi d'autres troupes ne pouvant pas présenter l'ensemble des productions, notamment la troupe de recherche artistique de Biskra dans la pièce le Mariage.com, l'association Iglilen d'Aïn Touta, Tachemlith de Tizi Ouzou, l'association culturelle Ithurane… Une illustration qui démontre non seulement une production en art dramatique, mais aussi une recherche en la matière, allant jusqu'à restituer au quatrième art sa vocation de véhicule des idées pour une prise de conscience et une formation de l'homme. Il reste seulement à offrir plus de moyens aux jeunes troupes pour leur assurer l'encouragement et une formation adéquate.