Les autorités locales ont mobilisé toutes les ressources disponibles pour que la visite du Président soit un évènement. Sur plus de 100 km, de Boumedfaâ à El-Attaf en passant par Hoceinia, Khemis Miliana et le chef-lieu de la wilaya de Aïn Defla, le parcours du cortège présidentiel est habillé aux couleurs nationales. Armés de leurs pinceaux, des peintres rafraîchissent les trottoirs à la hâte. Des travailleurs de la voirie coulent du goudron sur le bitume défoncé. Souvent, l'éclat du goudron noir et de la peinture blanche contraste avec un arrière-plan hideux. Longeant la route, des dizaines de villages miséreux et abandonnés dévoilent un quotidien difficile. Adossés aux murs des maisons ou assis à la devanture de cafés, les vieillards assistent, curieux, à la mise en scène en cours sur la chaussée. Ils auraient certainement écarquillé les yeux en découvrant l'allure autrement plus guindée du chef-lieu de la wilaya. “Regardez ce panneau, il ressemble à celui de la grande poste à Alger !”, s'écrie un jeune de la ville en montrant du doigt un gigantesque panneau lumineux à l‘effigie du président de la république. Installé devant le siège de la mairie, ce monument de technologie est l'œuvre d'une boîte de communication spécialisée dans la publicité et l'affichage, établie à Tlemcen. Portant le nom d'Alpub, cette entreprise a des attaches avec la présidence de la république. Elle serait chargée depuis peu de la campagne publicitaire du candidat Bouteflika. “Marhaben bil aziz…” Parée dans ses moindres recoins, Aïn Defla augure du grand matraquage médiatique prévu en perspective de la présidentielle. “Marhaban bil Aziz” décline chacun des panneaux accrochés aux lampadaires. “El-Aziz, vous pensez que c'est son petit nom ou sa valeur ?”, plaisante Abdelkader, un chômeur. Rencontré devant le siège de la wilaya, le jeune homme passe aussitôt de la dérision à la colère. “Il y a de l'eau dans ce bassin mais pas dans nos robinets”, s'insurge-t-il, en désignant du menton la source d'eau jaillissante. “Je ne vais pas l'applaudir mais essayer de lui dire que nous n'avons rien. Ni eau ni travail”, promet-il. D'un hochement de tête dissuasif, un ami à lui tempère ses ardeurs. “Si tu crois que tu pourras approcher le Président, tu rêves !”, prédit-il pessimiste. Si jamais ce rêve pouvait se réaliser, l'ami en question voudrait interpeller le président sur un tout autre problème. Cela fait plus de cinq ans qu'il a quitté son douar pour fuir le terrorisme. “Je veux que le président nous restitue nos armes pour regagner nos foyers et nous défendre”, exige-t-il. Notre interlocuteur dénonce la baisse de vigilance des services de sécurité et la marginalisation des groupes d'autodéfense dans la région. Il évoque, à ce propos, la poursuite des assassinats, dont le dernier en date a eu lieu à Chlef. “Pour nous, ils ne font rien, alors que tout est mis en œuvre pour la sécurité du président !”, s'indigne le malheureux “exilé”. Ce dernier met en exergue le déploiement impressionnant des forces de sécurité à Aïn Defla à l'occasion de la visite du chef de l'état. En effet, de source sûre, on apprend qu'au moins 4 000 policiers et gendarmes ont été mobilisés pour les besoins de ce séjour exceptionnel. Beaucoup sont arrivés de Chlef et de Mostaganem. À J-1, des renforts continuent encore d'arriver. La présence d'un camion muni d'un canon à eau devant le siège de la wilaya suscite néanmoins des interrogations. “Ils craignent peut-être des manifestations comme cela s'est passé à Mascara”, suppose un passant. Les autorités locales ont tout entrepris pour faire taire les voix contestataires. C'est ainsi que le wali et le président de l'APC ont convoqué, hier, les chefs des comités de quartier pour leur demander de réserver un accueil chaleureux au Président : “hamroulna oujouhna” (faites-nous honneur) les ont-ils exhortés. Le frère Saïd est passé par là Situé au centre-ville, sur l'itinéraire du chef de l'Etat, le siège de l'Organisation des enfants de chouhada s'est improvisé en comité de soutien. “Une coordination existe mais elle a été détournée par les gens du FLN”, explique notre interlocuteur. Très engagé, ce dernier voit néanmoins ses efforts réduits à néant. Pour cause, le clan présidentiel a, semble-t-il, préféré chercher ses appuis locaux ailleurs. Présent à Aïn Defla, depuis samedi, le frère-conseiller du Président, Saïd Bouteflika, a passé une partie de la nuit en conciliabules avec des personnalités de la ville. Sa venue a pour objectif de relancer la coordination des comités de soutien en associant les notabilités locales. Aïn Defla est l'une des villes où les mouhafadhas du FLN n'ont pas subi d'assaut des bouteflikistes. C'est donc une terre de conquête pour le Président. Afin de se faire adopter, le chef de l'Etat compte sur la bénédiction des saints de la région, cheikh El-Mecherki et Sid-Ahmed Benyoucef dont il visitera les mausolées aujourd'hui. Pour le reste, il inaugurera des cités d'habitation à El-Attaf et Khemis Miliana, mettra en service le barrage de Oued Mellouk près de la commune de Rouina et lancera la distribution du gaz de ville à Arib. “Nous voulons plus, du travail”, réclame un paysan. Quand Bouteflika visitait pour la première fois Aïn Defla durant sa campagne pour la présidentielle en 1999, la wilaya s'enorgueillissait de produire des tonnes de pommes de terre (20%) de la production nationale. À l'époque, le candidat avait promis de démultiplier ce chiffre au cas où il accéderait à la magistrature suprême, en octroyant aux agriculteurs les moyens dont ils ont besoin. Près de quatre ans se sont écoulés depuis, et à Aïn Defla, la terre est en croûtes et ses travailleurs des chômeurs. À moins que l'enveloppe financière qui lui sera allouée par le Président, comme pour les autres villes déjà visitées, lui procure la prospérité. “Je suis sûr que la moitié servira à payer les travaux d'embellissement et de réfection de la ville”, confie sans illusion un cadre de la wilaya. S. L.