L'image du terroriste “décervelé”, peu formé et entièrement en porte-à-faux avec la vie moderne et ses technologies, s'est estompée. Les activistes sont de plus en plus des gens aux formations pointues et avec des parcours de vie qui, en pratique, ne devraient pas aboutir à la violence et aux destructions. Dans bien des cas, se sont des jeunes prédestinés, du moins programmés pour réussir et faire partie des gagnants. Mais, la plupart des auteurs des derniers attentats terroristes, réussis et avortés, sont des ingénieurs ! L'attentat manqué, à Noël, sur un avion en route vers les Etats-Unis, a été commis par un ingénieur en mécanique. Umar Farouk Abdulmutallab, un jeune Nigérian, issue de la classe aisée, son père étant propriétaire d'une banque, rien que ça, rappelle que de nombreux radicaux violents sont issus de ce corps de métier. À croire qu'ingénieur et religion vont de pair. Le cerveau des attentats du 11 Septembre, Mohamed Atta, était ingénieur en architecture. Son mentor, Khalid Cheikh Mohamed, avait un diplôme en génie mécanique. Deux des trois fondateurs de Lashkar-e-Taïba, le groupe pakistanais soupçonné d'être derrière les attentats de Bombay, enseignaient à l'université d'ingénierie et de technologie de Lahore… Et la liste est longue. Deux sociologues américains, Diego Gambetta et Steffen Hertog, ont publié, l'été 2009, une étude sur cette énigmatique liaison entre activisme et terrorisme. Elle confirme ces observations empiriques qui conduisent de l'ingéniorat aux attentats. Les deux chercheurs ont examiné les cas de plus de 400 terroristes islamistes radicaux de plus de 30 pays du Moyen-Orient et d'Afrique, nés pour la plupart, entre les années 1950 et 1970. Au tout début du terrorisme, les prêcheurs radicaux recrutaient essentiellement dans les couches sociales inférieures, les laissés-pour-compte. Les études islamiques étaient la voie lactée et quelques nervis instruits en sciences les avaient suivies par conviction mais surtout pour insatisfactions et non reconnaissance. On se souvient de ces professeurs d'université menés à la baguette par des tauliers ou de simples chômeurs. Puis vint le tour d'enfants riches et plus instruits. Alors, on a parlé de révoltes contre les siens. Les sociologues américains ont, quant à eux, découvert que les ingénieurs sont trois à quatre fois plus susceptibles de devenir de violents terroristes que leurs pairs des domaines de la finance, de la médecine ou des sciences. Dans leurs statistiques, il ressort que près de 60% des terroristes islamiques nés ou ayant grandi en Occident ont eux aussi fait des études d'ingénieur. Et paradoxe des paradoxes, les terroristes diplômés en sciences islamiques arrivent en seconde position, loin derrière les ingénieurs. Se demandant si les ingénieurs n'étaient pas recrutés par les organisations terroristes pour leurs capacités techniques, nos deux chercheurs ont écrit que leur expertise technique peut ne pas s'avérer si utile que cela, dans la mesure où la plupart des méthodes utilisées lors d'attentats terroristes sont rudimentaires. Des cutters, une fiole de liquides, du gaz normal en bonbonne…8 des 25 pirates de l'air du 11 septembre étaient ingénieurs, mais, rappellent les sociologues, c'est leur dextérité dans le maniement du cutter et leur passage à l'école d'aviation, et non des diplômes compliqués, qui les ont le plus servi ! Gambetta et Hertog avancent l'idée que le manque d'opportunités professionnelles dans leurs pays d'origine ou d'adoption a radicalisé certains ingénieurs. Les diplômés dont ils ont étudié les cas sont devenus adultes à une époque où le diplôme d'un domaine technique compétitif était censé garantir un emploi à statut élevé. Mais l'arrêt des investissements publics puis les ouvertures bazaristes et la corruption ont souvent barré la voie aux promesses de la modernisation et du développement, et dans les pays musulmans de nombreux jeunes ingénieurs des années 1980 se sont retrouvés frustrés et sans emploi. Quand aux ressortissants de pays occidentaux, le racisme les a exclus de jobs à la hauteur de leurs espérances et investissements. Il reste que d'une manière générale, et cela a été établi dans une étude en 1972, dans laquelle des chercheurs, Seymour Lipset et Carl Ladd, étudiaient les tendances idéologiques de leurs collègues universitaires américains, les ingénieurs se décrivaient comme “très conservateurs” et “profondément religieux” plus souvent que les professeurs de n'importe quel autre domaine. En 1984, une étude similaire est parvenue aux mêmes résultats. Dans ses élucubrations sur internet, Abdulmutallab s'inquiétait du conflit entre son style de vie laïque et ses vues religieuses plus extrêmes. “Comment faut-il faire pour trouver l'équilibre?” a-t-il écrit. Un rapport des services de renseignements britanniques après les attentats de Londres avait signalé que des recruteurs islamistes fréquentent les campus universitaires, à la recherche d'étudiants susceptibles d'être réceptifs à leur message. Et leur cible privilégiée, expose le rapport, ce sont les ingénieurs !