Homme au destin exceptionnel, éternel incompris, proscrit à l'indépendance du pays, Ferhat Abbas, premier président du GPRA, restera sans doute pour longtemps, à côté d'Abane Ramdane et autres Khider et Krim, comme l'une des plus grandes figures du mouvement national. Pourtant l'enfant de Taher, dans la région de Jijel, en Petite-Kabylie, ou “le pharmacien de Sétif”, comme l'appelait jadis la presse coloniale, reste un grand inconnu du grand public. En dehors de quelques édifices portant son nom, il est presque effacé des manuels scolaires. Mais qui mieux que l'historique Hocine Aït Ahmed, exilé aujourd'hui en Suisse, au destin par certains aspects presque similaire, peut témoigner de celui qui fut célèbre pour une citation dans laquelle il s'interrogeait sur la nation algérienne à la fin des années trente ? Dans un message adressé hier aux congressistes de la fédération de Sétif du FFS, Aït Ahmed décrit un militant politique “anticolonial, sérieux et responsable”, “un humain vrai et véritable, intelligent, franc et sincère, digne de confiance”. “L'exact contraire du frimeur, du bavard, du menteur et de l'imposteur”, écrit-il. Sur le plan politique, ses perspectives n'étaient pas définies seulement par des idéaux mais aussi, dans les grands moments historiques, par des initiatives stratégiques, soutient le président du FFS. Il rappelle dans ce contexte le manifeste qu'il a fait signer à ses amis dont Lamine Debaghine, lors de l'opération Torche (débarquement allié), dans lequel il demandait l'abolition du colonialisme et revendiquait le droit du peuple algérien à son indépendance. Selon Aït Ahmed, cette initiative qui a réussi à unifier les formations politiques et à susciter un enthousiasme dans la population n'est pas sans lien avec la réaction du colonialisme lors des massacres du 8 mai 1945. “Hélas, la grosse colonisation avait deux raisons d'organiser des massacres à Sétif et à Guelma. La peur de la puissance politique et organisationnelle, et la volonté de se débarrasser de Ferhat Abbas qu'elle pensait avoir choyé”, note Aït Ahmed. Et le témoignage qu'il apporte participe de cette volonté de libérer l'histoire des manipulateurs, ceux-là mêmes qui empêchent aujourd'hui les générations montantes de connaître ses héros de la révolution et le sort qui leur a été réservé. Evoquer le rôle patriotique de Ferhat Abbas, c'est démythifier la guerre de libération menée par le peuple, mais confisquée et détournée à des fins de pouvoir politique par les dictateurs qui se sont succédé au pouvoir depuis l'indépendance. Ne craignons pas les mots : décoloniser l'histoire, c'est la libérer des manipulations continuelles des groupes militaro-policiers, c'est restituer à la nation sa mémoire, sa fierté et sa dignité. C'est redonner aux Algériennes et aux Algériens confiance en eux-mêmes pour reprendre en mains pacifiquement leur destin.