Le préjudice causé au Trésor pour un seul lot du contrat serait de 6 millions de dollars. Rien que son système d'appel d'offres soit particulier à Sonatrach, au point où on l'a accusée de représenter un Etat dans l'Etat, malgré son Baosem (Bulletin des appels d'offres du secteur de l'énergie et des mines, une Sarl créée par Sonatrach et Sonelgaz en 2001, soit l'équivalent du Bomop, pour le reste des entreprises nationales publiques), Sonatrach n'en est pas moins exposée aux malversations ou aux tricheries. Ce sont des millions de dollars qui peuvent s'évaporer sur un simple contrat. Les documents que nous avons pu obtenir le démontrent de manière claire et indubitable. Il y a 3 mois, le 15 septembre 2009, M. Sharma, directeur de marketing de la société Jindal, adressait une correspondance aux représentants légaux de Finalgeria (société représentant le groupe indien Jindal en Algérie, filiale du groupe Jindal Saw Ltd, spécialisée dans la fabrication de tubes soudés à l'arc immergé), afin de les inciter à porter plainte auprès de Sonatrach TRC à Baraki et Sonatrach siège à Alger, en vue de tenter, si possible, d'arriver au règlement à l'amiable, d'un contentieux portant sur l'attribution d'un marché de transport de tubes à une entreprise turque moins-disante, avec des offres, selon les experts, très manifestement en deçà des normes de prix fixés en dinars algériens. La lettre porte en objet : “A.O. Sonatrach TRC, GR4 Lot1 du 23 juin 09 : tricherie de certains compétiteurs sur les réelles valeurs des travaux en dinars sur le territoire algérien”. D'entrée de jeu, la correspondance ouvre le feu : “Nous, Finalgeria, œuvrons en toute loyauté et régularité dans nos activités représentatives et commerciales import/export en Algérie. En termes de droit algérien, indien et internationaux, nous demandons l'annulation du contrat GR4 du 23 juin 09 au 23 septembre 09 et aussi en conformité avec la caution bancaire de soumission Lot n°1”. Le conseil de direction de la Finalgeria continue sur sa lancée pour dénoncer “l'irrégularité scandaleuse” de l'adjudication, en 15 lettres, pas une de moins à la date du 26 juin 2009. Des lettres adressées aux institutions concernées et aux services commerciaux des ambassades indienne et algérienne. La lettre ajoute : “Nous prouverons la tricherie par les deux plus simples preuves” sur une dizaine de critères de calcul fiable pouvant entrer en jeu. Une tricherie qui gruge le Trésor public selon le document de pas moins de 6 millions de dollars ! Il semblerait que les correspondances de Finalgeria aient été suivies côté Sonatrach par un silence radio. Ce qui a contraint l'entreprise Finalgeria à porter plainte contre X, c'est-à-dire Sonatrach et le groupe turc adjudicataire du marché. Premier élément de calcul : le transport entre le port de Djen Djen et le parc de Sonatrach TRC à Hassi-Messaoud. “Sur les 5 transporteurs agréés ayant soumissionné, l'offre de l'Eurl El-Bouteïna d'Annaba était la moins élevée et proposait 550 euros par camion. Or, un simple calcul fait apparaître qu'il faut 9 518 camions pour transporter les 130 000 tonnes de tubes. Une opération élémentaire laisse apparaître pour le total transport (550 euros x 9 518 camions, soit un total de 5 234 900 euros) avec une cotation de 102,28 DA/1 euro le 23 juin 09, soit un total de 1 euro pour 105 DA (avec les frais de banque), + TVA de Bouteïna à Finalgeria et Jindal : valeur totale : 643 107 465 DA. Or, le groupement turc a annoncé pour la totalité des prestations un montant (qualifié de ridicule par les rédacteurs de Finalgeria) de 418 762 429. Le prélèvement légal des 24% destiné au Trésor public sera réalisé à partir de ce montant, lit-on dans le document. Remarque : le projet Gazoduc GR4 48 pouces Rhourde Nouss-Hassi R'mel comporte un premier lot pour la fourniture de 304 966,90 ML de tubes 48'' et un deuxième lot de fournitures de 234 000 ML de tubes de 48''. Se disputaient le premier lot pas moins de 8 entreprises : 2 indiennes (Gujarat Stahl Rohren et Finalgeria), 1 grecque, 1 anglaise, 1 allemande, 1 russe et 2 turques. Si en gros, les offres ne diffèrent pas beaucoup entre elles, celle de Finalgeria et de l'allemand Man Ferrostaal sont très proches aussi bien dans la partie libellée en devises que dans la partie en dinars algériens (144 919 250 $ et 1 512 335 966 DA pour le premier et 144 201 714,83 euros et 1 562 466 328,40 DA pour le second). Il en est curieusement de même pour les deux entreprises turques le Groupe Borusan et Thyssen Krupp Mannex Erciyas : le premier offre 418 762 429,29 DA et le second 425 865 509, 59 DA. Des offres en dinars équivalant au tiers de celles de leurs concurrents !... “Impossible”, souligne une note rédigée à la main en bas du document d'ouverture des plis obtenu par Finalgeria : “L'offre est sous-estimée de 3 à 4 fois pour échapper aux 17% de TVA et 24% de prélèvement à la source”. Deuxième élément de calcul : le poste prestations portuaires sur la base de tarifs déterminés d'après des décrets ministériels. Sur la base de 25 000 tonnes de déchargement de navires et de chargement de camions, sous palan, à 398 DA/tonne et 105 000 tonnes au tarif de 556,20 DA/tonne, le total atteint 68 350 000 DA HT + TVA 17%, moins 24%. Ajouter la reprise sur le port 208 327 000 DA + 17% moins 24%, et si on devait comptabiliser les 8 autres postes (manutention à l'arrivée, gestion, assurances, etc.) on arriverait à un total autrement plus conséquent. La correspondance conclut : “Nous avons fait contrôler nos calculs par deux experts judiciaires et maritimes. Nous, Finalgeria arrivons à quelque 982 372 100 DA hors les 17% de TVA à prévoir de Finalgeria à Jindal. (Or) Jindal comme le groupement turc est une société de droit étranger. Sonatrach va donc déduire 24% de retenue à la source sur les montants annoncés en DA qui devraient être reversés au Trésor public algérien”. Là où apparemment le bât blesse, Finalgeria, qui se targue de facturer toutes ses prestations, c'est que le manque à gagner pour le Trésor public algérien des projets, que pour l'entreprise émettrice de l'A.O. Sonatrach TRC. Pas moins de 6 millions de dollars (+ 5,2 millions d'euros) passent sous le nez du fisc, selon le document, juste sur ce fameux Lot n°1 GR4 du 23 juin 09. La lettre s'achève par la demande expresse faite à Sonatrach, aux ministères concernés des Finances, de l'Energie et des Mines, du Commerce, etc., à la direction des douanes et aux services fiscaux, en vue d'annuler l'attribution du contrat et de réaliser un redressement fiscal contre les tricheurs. De plus, Finalgeria se plaint qu'un simple transitaire, en exigeant une autorisation d'exportation qui n'existe pas, en l'inventant en quelque sorte, ait pu bloquer huit jours durant deux navires chargés de 3 000 tonnes de tubes récupérés et payés à Sonatrach TRC rubis sur l'ongle à Laghouat, et lui causer ainsi un préjudice financier de 95 000 euros. L'affaire a été portée devant le tribunal d'Oran. Le gérant de Finalgeria suggère que les services financiers de Sonatrach et des autorités fiscales contrôlent sur une période de 3, 5 et même 10 ans, tous les dossiers d'acquisition de tubes neufs, qui parfois portent sur des projets 160 fois plus importants que celui dont il est question dans la plainte ! Le 21 septembre 2009, le gérant de la Finalgeria, M. Finet, adresse une correspondance au vice-président de Sonatrach chargé du transport par canalisations, au P-DG et au président de la commission des appels d'offres de Sonatrach, en vue d'obtenir un rendez-vous. L'objet de la rencontre est la démonstration de la minoration des valeurs déclarées en dinars par l'adjudicataire turc. La lettre accuse les destinataires : “Vous avez jugé qu'il peut être ainsi fait une économie illégale de quelque 6 millions $ au détriment du Trésor public algérien” et souligne le ras-le-bol de Finalgeria : “Vous avez noté notre loyauté depuis 5 ans d'acceptation des non-attributions des marchés d'appels d'offres antérieurs, sans discussion. Mais cette fois-ci l'excès est trop important, nous avons réagi”. Le 16 septembre 2009, une procédure judiciaire est envisagée contre X, soit Sonatrach TRC et le groupement turc adjudicataire du marché GR4 Lot n°1. Est sous-entendue une véritable mise en demeure qui viserait les responsables de Sonatrach, un mois après l'envoi de la correspondance, en cas de non-réponse. La situation en est arrivée là, après toutes sortes de recours amiables, les premiers adressés à Sonatrach TRC, à Sonatrach siège, aux ministères algériens concernés et aux administrations de tutelle, semble-t-il sans résultat, dans les délais légaux, soit au cours des 3 mois ayant suivi l'attribution du marché litigieux. Sonatrach en n'annulant pas l'attribution du lot du contrat semble cautionner ces sous-facturations. Finalgeria dénonce “l'inexistence de conditions de concurrence loyale depuis longtemps (…) et l'avenir noir pour les compétiteurs loyaux (qui souhaitent) accéder aux contrats sans tricheries”. Les rédacteurs de la correspondance demandent à examiner “les conditions tarifaires (légales, ndlr) en vue d'engager une procédure judiciaire contre X, apparemment Sonatrach TRC qui semblerait cautionner le système (en cas de non-annulation du contrat) et les compétiteurs qui minimisent les valeurs et surtout l'adjudicataire turc”. La lettre se termine par la demande “de paiement de dommages et intérêts à hauteur de (notre) commission contractuelle”. Une note en bas de page, rédigée à la main, précise qu'en cas de non-annulation du contrat GR4 par Sonatrach TRC dont le siège se situe à Baraki, une procédure (judiciaire) sera engagée devant le tribunal de La Haye. Liberté a adressé un courrier au P-DG de Sonatrach daté de décembre 2009, pour une réponse et des éclaircissements à propos de telles accusations, aucune réponse écrite, à ce jour, ne nous est parvenue.