Après la colère de mardi, les sinistrés ont passé le week-end à récurer, nettoyer et renforcer leur abri dans la perspective de passer l'automne dans leur camp. Jamais week-end n'a connu autant d'ardeur à la besogne, au niveau du camp des sinistrés de l'oued Tatareg, qui fait face à la gare routière de Boumerdès-ville. Il y a de quoi ! Le retour du soleil, accompagné d'un vent léger, a vite fait de rappeler aux victimes du dernier tremblement de terre les urgences qui s'imposent au lendemain des inondations. Jeudi et vendredi, les familles ont décidé, d'un commun accord, de mener la guerre à la boue, se hasardant dans le même temps de se préserver des prochaines pluies. Les hommes, munis de brouettes, de pelles et de pioches, transportent du gravier, jusque devant leur tente, afin de colmater toutes les ouvertures inutiles. Les femmes, armées de bassines, de brosses et de savon, s'en vont du côté des lavabos et des citernes qui ont été installés par les pouvoirs publics, pour laver leurs nombreuses affaires, en s'assurant que les tâches quotidiennes sont terminées. Certaines, découragées par l'ampleur de la tâche et des dégâts causés par la boue, aimeraient tant se séparer des tapis, des couvertures et des bâches, qui sont devenus subitement encombrants et qui les répugnent à présent. “Kraht rouhi, j'en ai marre, chaque jour qui arrive nous ramène son lot de malheurs, de stress et de dégoût”, lâche une mère de famille, avant de replonger de nouveau dans son travail. Cette dame est enseignante dans un des instituts de Boumerdès. Elle a du mal, pour le moment, à parler de la rentrée universitaire et même de choses qui engagent son avenir et celui de sa famille. “Quand ça viendra, j'y réfléchirai et je me réadapterai”, affirme-t-elle avec force, sans grande conviction, en s'enfermant dans un silence religieux. La hantise d'un Bab El-Oued bis “Les gens ont perdu leurs repères depuis le séisme du 21 mai. La plupart supportent mal cette situation d'impuissance. On pensait pouvoir souffler un peu, en septembre, mais les pluies torrentielles de lundi dernier ont réveillé les démons et les souvenirs douloureux. On craignait un second Bab El-Oued. On pensait qu'on allait y passer tous, jetés dans l'oued et ensevelis par la boue”, résume une retraitée, ancien cadre d'une entreprise publique. Cette dernière, frottant vigoureusement son linge, se rappelle cette nuit d'horreur du 15 septembre : “Dans la nuit du lundi, la pluie nous a effrayés. L'eau entrait de partout. Le gravier qu'on a acheté a au moins servi à repousser un peu la boue devant la tente, mais la panique s'est installée, en voyant le niveau de l'eau monter au fur et à mesure. La coupure d'électricité a plongé tout le camp dans le noir…” Notre interlocutrice s'arrête de parler. Elle respire profondément, puis reprend la parole : “Il est très pénible de reparler de cette nuit d'horreur. Pour résumer, je dirai que cette nuit a révélé que nous sommes toujours sous l'effet du choc, mais plus encore, que les autorités n'ont pas retenu la leçon du séisme. Tous les responsables, à la wilaya ou à la mairie, savent pertinemment que la commune de Boumerdès connaîtra un retard dans l'affectation des chalets et dans les travaux de confortement des immeubles restés debout. D'ailleurs, je ne comprends pas les raisons de ce retard, puisque la wilaya d'Alger enregistre une bonne avancée dans le domaine de la prise en charge des sinistrés. Ici, personne n'a pensé à renforcer les regards pour libérer les eaux, à niveler le terrain et à goudronner l'intérieur des camps. Ce n'est que maintenant qu'ils commencent à bouger !” La retraitée nous invite à l'accompagner sous la tente. Comme bon nombre de ses voisins, cette dernière s'est construite une petite cour intérieure, à l'aide de roseaux soutenus par des barres de fer. Le gros des affaires, des tapis synthétiques, des couvertures, des draps et le linge, est exposé au soleil, à l'extérieur de la tente : sur la table de cuisine, les chaises, les roseaux et les fils de fer… Le mari, un homme trapu, aidé par ses deux jeunes fils, couvrent les bouts de la tente avec la terre encore mouillée et du gros gravier. “C'est du provisoire, mais on aura une idée précise, dès que la pluie tombera à nouveau”, explique-t-il à ses enfants. Et, comme pour les rassurer, il ajoute rapidement : “Dans tous les cas, on n'a rien à craindre, surtout maintenant avec l'ouverture des fosses et des rigoles, et avec le recouvrement de l'entrée du camp et des allées avec du gravier.” Durant tout le week-end, les familles n'ont pas arrêté de nettoyer et de renforcer leur abri, stimulées par le beau temps. Très rares sont celles qui ont profité du soleil pour s'évader. Il n'y a pas de temps à perdre, la pluie peut revenir à tout moment ! H. A. Administrateurs : des hommes de main de Zerhouni ? Certains administrateurs des camps des sinistrés ne cachent pas leurs appréhensions devant la guerre que se livrent, depuis plusieurs semaines, les partisans du président de la République et les pro-Benflis. “J'ai bien peur qu'on nous utilise comme un écran pour discréditer davantage les maires FLN”, nous a déclaré, hier, un des gestionnaires, qui a préféré garder l'anonymat. Selon lui, beaucoup d'APC ont failli à leur mission. Seulement, “la présence des administrateurs à Alger et Boumerdès, c'est-à-dire des régions connues pour leur taux élevé d'abstention et leurs réticences vis-à-vis de Bouteflika, pourrait décourager les quelques électeurs encore attachés au FLN. Ces derniers, déçus par leurs élus locaux, risqueraient de boycotter ce parti lors de la présidentielle”. Notre interlocuteur a également soutenu que le conflit qui oppose le secrétaire général de l'ex-parti unique et le clan présidentiel “favorise la confusion et entretient le désarroi des familles sinistrées”. “Les gens sont, certes, très exigeants, mais ils se sentent abandonnés de tous et racontent que le groupe de Bouteflika et celui de Benflis sont préoccupés par le koursi et rien d'autre… Certains sinistrés en viennent même à taxer les administrateurs des camps d'hommes de main du ministre de l'Intérieur, sans prendre la peine de les approcher et sans distinguer entre les gestionnaires qui sont peut-être partisans et ceux qui font seulement leur travail. Il y a trop de suspicion dans l'air”, dit-il avec une note d'amertume dans la voix. H. A. Leur procès aura lieu Mardi Dans un point de presse, tenu hier, le procureur de la République près la cour de Boumerdès a annoncé que le procès des douze personnes mises en détention préventive et arrêtées jeudi dernier, aura lieu mardi 23 septembre. Ils sont poursuivis, ajoute-t-il, pour les chefs d'inculpation suivants : attroupement, destruction de biens d'autrui et atteinte à l'ordre public. M. B.