Les jours du chef de la diplomatie française sont comptés au sein du gouvernement Fillon, à moins que Sarkozy veuille encore le garder. Malgré la tempête soulevée par ses propos sur la génération de Novembre, le ministre français des Affaires étrangères n'a pas renoncé à son projet de venir à Alger. La visite de Jean-David Levitte, qui est considéré à Paris comme le vrai chef de la diplomatie, sonnait pourtant comme un désaveu. Kouchner n'en démord pas. À Alger, il n'est plus seulement perçu comme malvenu mais pire, c'est carrément un obstacle à une baisse de la tension. Désormais, son départ est souhaité à l'occasion du remaniement ministériel attendu après les élections régionales françaises du mois prochain. En fait, ses derniers propos se sont déversés dans une coupe qui débordait déjà. C'est surtout sa gestion de l'affaire de Mohamed-Ziane Hasseni qui a irrité les autorités algériennes. Certes, M. Kouchner souhaitait arriver à Alger avec dans sa besace une bonne nouvelle : la fermeture de ce dossier. Mais avant de s'avouer convaincu de l'innocence du diplomate, il a surtout fait preuve d'une flagrante discrimination à son égard. Son administration s'est toujours réfugiée derrière le principe sacro-saint de l'indépendance du juge d'instruction pour ne pas répondre aux appels d'Alger. Ici, on n'ignore pas le fonctionnement de la justice française. Mais on a observé avec beaucoup d'attention le cas de Rose Kabuyé, la diplomate rwandaise, directrice du protocole du président Paul Kagamé, inculpé à Paris, mais bénéficiant de toute la déférence du French Doctor. Lorsqu'il est nommé à la tête de la diplomatie française, Kouchner entreprend de déminer un dossier. Entre la France et le Rwanda, les relations sont au point mort. En novembre 2006, le juge antiterroriste Jean-Louis Bruguière lance neuf mandats d'arrêt contre des proches du président Paul Kagamé. Tous étaient soupçonnés d'implication dans l'attentat contre l'avion de l'ancien président Juvénal Habyarimana, le 6 avril 1994, volant avec un équipage français. C'est ce qui expliquait d'ailleurs l'ouverture d'une enquête en France. L'attentat déclenchait un génocide qui fera 800 000 morts parmi la minorité tutsie et Mme Kabuyé est soupçonnée d'avoir hébergé le commando qui a commis l'attentat. En arrivant au Quai d'Orsay, M. Kouchner décidait de prendre en charge le dossier et de normaliser les relations avec Paul Kagamé, un des dictateurs les plus sanglants d'Afrique. Selon les révélations de Pierre Péan, le cabinet de M. Kouchner se met à la manœuvre. Des pressions sont exercées sur le juge pour bloquer le dossier. Les pressions n'aboutiront pas. Face à la résistance du juge, M. Kouchner tente de trouver une parade. Et c'est lui-même qui en fait la révélation dans le Nouvel Observateur. “Un groupe de travail composé de juristes a indiqué que si les Rwandais voulaient avoir accès au dossier, l'un des neuf inculpés au moins devait se rendre à la justice française. C'est ce que l'ancien directeur du protocole de Kagamé, Rose Kabuyé, a fait.” Les propos sont bien de M. Kouchner, grand chevalier blanc volant au secours des faibles, concepteur du devoir d'ingérence des grandes nations dans les affaires des petites. L'arrestation de Mme Kabuyé, qui a déclenché des tensions politiques et des manifestations au Rwanda, n'était donc qu'une comédie. Une mise en scène montée par le chef de la diplomatie française. Mme Kabuyé a été arrêtée le 9 novembre 2008 à l'aéroport de Francfort où elle se rendait munie d'un passeport diplomatique et d'une lettre de mission de son gouvernement. Elle a été extradée en France le 19 novembre où elle a été entendue par le juge d'instruction qui l'a inculpée. Pendant tout ce temps, M. Kouchner s'est fait tout miel. “Elle est libre dans notre pays”, répétait-il avec un large sourire. Quand on l'interrogeait sur un risque d'aggravation de la tension entre Paris et Kigali, il répondait “croire le contraire”. Il savait bien de quoi il parlait. Même si les soupçons pesant sur Mme Kabuyé sont autrement plus lourds que ceux sur le diplomate algérien, la responsable rwandaise était soumise à un contrôle judiciaire moins sévère. Elle avait la possibilité de se déplacer dans toute la France alors que M. Hasseni était assigné dans la région de Paris. Le mois suivant, elle était autorisée à se rendre dans son pays pour les fêtes de fin d'année. Une faveur non accordée à M. Hasseni, interpellé trois mois plus tôt. M. Kouchner obtiendra la reprise des relations diplomatiques entre Paris et Kigali. Ce sera une victoire à afficher dans son bilan. Mais tant de discrimination l'aura conduit à une lourde défaite sur le front algérois.