Cité lundi par les médias de son pays, l'ambassadeur d'Israël à Washington, Michael Oren, convoqué par le département d'Etat américain, a déclaré que “c'est la crise la plus grave depuis 35 ans” que connaissent actuellement les relations entre les deux pays alliés après la visite ratée — sabotée pourrait-on dire — du vice-président Joe Biden à Tel-Aviv et à Ramallah. Le diplomate israélien fait référence à l'année 1975, lorsque les Etats-Unis avaient contraint l'Etat hébreu à se retirer d'une partie de la péninsule occupée du Sinaï égyptien. “Les relations entre les Etats-Unis et Israël sont à leur niveau le plus bas depuis 1975. (…) Il s'agit d'une crise d'envergure historique”, a-t-il confié encore à d'autres diplomates israéliens. Il a ainsi publiquement apporté la contradiction au Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui n'a pas arrêté de minimiser l'étendue de la crise et la portée de l'incident qui en est à l'origine. Le chef de l'Exécutif israélien semble d'ailleurs décidé à persévérer dans la voie qu'il s'est choisie, qui s'apparente à une fuite en avant, puisque, ignorant les appels qui viennent du monde entier, il persiste et signe en déclarant lundi, devant les cadres de son parti, que la colonisation en Cisjordanie ne s'arrêtera pas. “Durant les quarante dernières années, aucun gouvernement israélien n'a limité les constructions dans les environs de Jérusalem”, a-t-il encore soutenu devant les députés de la Knesset, justifiant ainsi l'annonce du projet immobilier à l'origine de la crise avec les Etats-Unis. Allant à contre-courant de la position de la communauté internationale sur le sujet, il a même ajouté qu'il y a un consensus entre tous les partis politiques pour considérer les zones annexées en 1967 comme faisant partie intégrante de l'Etat juif. En direction de l'opinion publique qui lui reproche de mettre en péril la qualité des relations avec les Etats-Unis et leur précieux soutien, il s'est voulu rassurant en affirmant qu'il sait “comment gérer ces situations : avec sérénité, responsabilité et sérieux”. Il n'est, cependant, pas évident que la rue le suive sur cette pente glissante. Mais cela relève d'un choix mûrement réfléchi. Entre le risque de la dégradation des relations d'Israël avec les Etats-Unis et celui de voir exploser la coalition grâce à laquelle il exerce le pouvoir, il a tranché. Il a préféré donner des gages à son parti et à ses alliés de l'extrême droite, plutôt que de céder aux demandes pourtant minimalistes de Washington et de la communauté internationale, au risque de fâcher un autre membre de la coalition gouvernementale, le Parti travailliste. Ce faisant, il engage un bras de fer avec Barack Obama et son administration. Les relations entre les deux hommes, qui sont arrivés au pouvoir à la même période, n'ont jamais dépassé le stade de la bienséance. Pour éviter une cacophonie qui pourrait lui être préjudiciable, Benjamin Netanyahu a interdit à tous ses ministres d'aborder publiquement le sujet. Mais lui-même ne se gêne pas pour critiquer en privé le président américain, qu'il accuse de chercher à faire éclater sa coalition et auquel il reproche de ne pas faire assez pour empêcher l'Iran d'accéder à la technologie nucléaire militaire. Il pense sans doute que le moment est tout indiqué pour engager l'épreuve de force avec l'Administration américaine, profitant de la popularité en berne de Barack Obama, en butte à de nombreuses difficultés internes. Il table aussi sur l'appui du puissant lobby juif américain, qui a massivement voté au profit du candidat démocrate et qui pourrait le lâcher. Sans compter que le locataire de la Maison-Blanche pourrait perdre sa majorité au Congrès à la faveur des élections de mi-mandat qui interviendront en novembre. Le pari est pour le moins risqué, en dépit des apparences. Obama est lui aussi dos au mur, car s'il ne fait pas preuve de fermeté dans cette affaire, il perdrait toute crédibilité. Il donnerait raison à ses détracteurs qui l'accusent de parler sans agir et il décevrait davantage ceux qui ont cru en lui. Une chose est sûre : l'affaire est sérieuse et la mission de George Mitchell, attendu en Israël et en Cisjordanie pour tenter de réanimer un processus de paix éteint, est quasiment impossible.