“Permettez-nous, monsieur, de vous dire avant de nous séparer, que nous voulons notre Algérie à nous, puisque vous nous empêchez d'accéder à votre France.” Telle était la conclusion d'une lettre écrite par “des militants communistes nationalistes indigènes de Relizane”, le 16 janvier 1925 au président du Conseil français Edouard Herriot. Aussi incroyable que cela puisse paraître, cinq ans avant la célébration en grande pompe du centenaire de la colonisation de l'Algérie, et alors que le système colonial paraissait inébranlable, les premières lézardes minaient cet édifice où l'injustice, le mépris des droits humains, le racisme et la morgue étaient érigés en dogmes. Dans l'Algérie profonde, des idées d'émancipation, tellement neuves pour l'époque, qu'elles en paraissaient des “hérésies”, étaient en gestation. Il ne faudra pas moins d'une trentaine d'années pour qu'elles se traduisent en actes de libération du joug colonial, un certain 1er novembre 1954. Sans méconnaître le rôle majeur joué par Messali Hadj dans la genèse du nationalisme algérien, il nous a paru judicieux de rétablir une vérité “oubliée” par l'histoire officielle, à savoir que la première mention du mot “indépendance” sous la plume d'un “indigène” est à mettre au crédit de jeunes lettrés relizanais. L'éminent historien Mahfoud Kaddache reproduit en annexe de sa monumentale Histoire du nationalisme algérien la lettre en question, sans mentionner les noms de ses auteurs. Selon l'historien Abdallah Righi, ces jeunes lettrés qui avaient osé “briser un tabou”, avaient pour noms Hedjba Abdelkader, écrivain public de son état, et Chemirik Miloud, lettré et fils de Chemrik Mâamar, gros fellah de la région. L'historien de la ville de Relizane nous apprendra également que le président du Conseil Edouard Herriot, auquel était adressée cette “déclaration de guerre” connaissait parfaitement la région de Relizane, puisque sa famille possédait, à l'époque, une ferme située sur le territoire de la commune de Merdjet Sidi Abed. En période estivale, la famille Herriot descendait immanquablement à l'hôtel de la Paix de Relizane. Quant aux suites qu'eut cette lettre “explosive” sur le destin de ses auteurs, notre interlocuteur nous dira que Hedjba Abdelkader fut retrouvé assassiné à Mostaganem, après avoir été enlevé. Sa famille n'hésitera pas à faire le lien entre cet assassinat et le contenu de la lettre en question, souligne Abdallah Righi. Nous reproduisons, ci-dessous, quelques extraits de ce document où figura, pour la première fois, dans l'histoire contemporaine de notre pays une revendication d'indépendance clairement exprimée, après un procès en règle de l'un des pires systèmes de sujétion et d'avilissement de l'homme : “Ce sont l'oppression sous laquelle nous sommes assujettis, l'injustice dont nous souffrons, l'ignorance où nous pataugeons pour la plupart, les mille souffrances que nous endurons et la misère où nous sommes réduits qui nous contraignent à venir vous exposer notre lamentable situation et à vous exprimer nos vœux unanimes et légitimes ! La France, grande république démocratique et libérale, nous astreint à subir les austérités et les funestes conséquences du néfaste et inhumain indigénat qui nous maintient dans l'esclavage. Vous semblez ignorer le pouvoir de nos administrateurs et de leurs subordonnés les caïds, ces requins rouges, ces traîtres qui dominent par la terreur et selon leur bon plaisir. Nous subissons le même sort que les paysans français du temps des intendants sous Richelieu. Nos administrateurs nous civilisent par la cravache comme s'il s'agissait de dompter des fauves. (…) Nous comprendrions mieux si on nous disait qu'il serait dangereux à la France de donner ces droits aux indigènes. L'injustice de la France nous maintient pour la plupart dans l'immonde ignorance. Nos douars sont dépourvus d'écoles. Pourtant, nos parents paient les impôts ! Les postes, les banques et les contributions ne nous sont pas accessibles. Pourquoi ? (…) Si la France construit des routes, des voies ferrées, c'est pour exploiter sa colonie et c'est pour le bien-être de ses enfants. Nos douars comme nos villes arabes restent tels qu'ils étaient avant 1830… pourtant, on nous accable d'impôts et d'amendes dressés illégalement par nos seigneurs, les gendarmes. (…) La France généreuse se délecte de notre misère. Des bandes de faméliques déguenillés et chétifs parcourent la campagne pour se nourrir d'herbes et de racines. Et puis on nous accuse d'être des voleurs. Oui, nous mourons de faim, pendant que nos généreux colons jouissent d'une vie somptueuse. L'ingratitude de la France à notre égard, son injustice, son ingratitude nous soulèvent le cœur et font naître en nous un esprit nationaliste. Jusqu'ici nous sommes restés un peuple vaincu, endormi ; mais maintenant que les évènements nous éclairent, nous aspirons à notre indépendance.”